CA Paris, Pôle 5 –?Ch. 1, 20 avril 2022 n° RG 21/11689?
Par un arrêt du 20 avril 2022, les magistrats de la Cour d’appel de Paris, considèrent que la publication et la promotion un an après son décès de l’album « There is no end » de Tony Allen, n’a pas créé un trouble manifestement illicite au droit moral de l’auteur.
Tony Allen, pionner de l’Afrobeat, batteur, auteur-compositeur et interprète nigérian, a conclu avec une société productrice en janvier 2017 un contrat d’exclusivité sur l’enregistrement d’albums comprenant des titres inédits. Il décède le 30 avril 2020.
A la suite de ce décès, la société productrice invite le guitariste et la veuve du défunt à l’écoute d’un album posthume ; ces derniers considèrent qu’il est très éloigné de l’œuvre musicale du défunt et la conjointe survivante s’oppose donc à sa publication. La société productrice décide de procéder à la commercialisation de l’album à compter du 30 avril 2021, date anniversaire du décès de l’artiste.
Considérant que la diffusion de l’album constituerait un trouble manifestement illicite au droit moral de l’auteur par l’atteinte au droit de divulgation, au nom et à l’intégrité de l’œuvre du défunt, sa veuve assigne la société productrice devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé qui déclare son action irrecevable. La demanderesse interjette appel de cette ordonnance.
La Cour d’appel déclare l’appelante irrecevable à agir seule sur le fondement du droit de divulgation, mais recevable sur le fondement du droit à la paternité et du droit au respect de l’œuvre.
En effet, l’article L121-2 du Code de la propriété intellectuelle qui fixe les règles de dévolution s’appliquant au droit de divulgation des œuvres posthumes, prévoit que ce droit est exercé leur vie durant par le ou les exécuteurs testamentaires désignés par l’auteur et à défaut, qu’il est exercé dans l’ordre suivant par les descendants, par le conjoint, par les héritiers autres que les descendants qui recueillent tout ou partie de la succession et par les légataires universels ou donataires de l’universalité des biens à venir.
En l’espèce, il ne semble pas exister d’exécuteurs testamentaires ; dès lors, en vertu des règles de dévolution du droit de divulgation, celui-ci est exercé prioritairement par les descendants. L’artiste ayant quatre filles et trois fils, la conjointe survivante, bien qu’héritière, est déclarée irrecevable à agir seule sur le fondement du droit de divulgation.
En revanche, la Cour d’appel rappelle que la dévolution du droit à la paternité et du droit au respect de l’œuvre se fait selon l’ordre distinct établi par le code civil. La conjointe survivante en qualité de cohéritière peut donc agir seule en justice sur ces fondements, sans que lui soient opposées les règles propres à l’indivision.
La Cour semble ainsi confirmer que dans l’hypothèse d’héritiers multiples les règles de l’indivision doivent être écartées. Le droit moral est transmis à titre personnel à chaque cohéritier qui a donc la qualité pour agir seul en défense de ce droit.
La procédure engagée par la veuve de Tony Allen étant une procédure en référé, le débat s’est ensuite porté sur l’évidence de l’atteinte au droit moral.
L’appelante considère que l’album posthume porte atteinte au droit moral du défunt en ce que sont attribués à ce dernier des titres auxquels il n’a jamais participé et en ce que des enregistrements de l’artiste ont été utilisés sans son accord et dans des conditions contraires à sa façon de travailler. Elle produit au soutien de ses demandes plusieurs témoignages desquels il ressort notamment que l’artiste « était très exigeant dans son travail de musicien », que les batteries de l’album « ne correspondent en rien au côté aérien et spatial des rythmes de [l’artiste] dans la manière dont les rythmes ont été séquencés et remixés » ou encore que « le rap et le sujet ne semblent pas dans le style » de l’artiste.
La société productrice répond que l’atteinte au droit moral de l’auteur n’est pas caractérisée ou est très sérieusement contestable, ce dernier ayant consenti à ce que ses créations rythmiques soient associées à d’autres œuvres, d’autres sons et à des prestations de rappeurs. Elle fournit plusieurs témoignages de personnes ayant été les témoins directs de séances de répétition ou d’enregistrement de l’album litigieux, qui tendent à montrer que l’artiste « a souhaité pour l’album en cours de préparation un style nouveau incluant la participation de rappeurs et qu’il a consenti à ce que ses œuvres soient associées à d’autres œuvres ».
En l’état des éléments produits de part et d’autre, la Cour d’appel considère que l’existence d’une atteinte au droit moral n’est pas démontrée avec l’évidence requise en référé. Le trouble manifestement illicite allégué n’est donc pas caractérisé et la veuve de l’artiste est déboutée de ses demandes.
Lucile Tranchard Frayssinhes