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Cass., 1ère Ch. civ., 5 octobre 2022, n° 21-15.386

Dans un arrêt en date du 5 octobre 2022, la Cour de cassation met fin aux divergences sur la recevabilité du titulaire de droits sur un logiciel à agir en contrefaçon contre son cocontractant en cas de violation par ce dernier du contrat de licence.

Cet arrêt confirme plus généralement que le titulaire de droits de propriété intellectuelle dispose désormais d’une action en contrefaçon pour faire sanctionner le non-respect du contrat de licence, et non plus seulement d’une action en responsabilité contractuelle, alors même que l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle résulte d’un manquement contractuel du licencié.

Afin de remporter un appel d’offres public, un opérateur télécom a intégré au sein de ses solutions un logiciel diffusé sous licence libre par un éditeur. Considérant que l’opérateur n’avait pas respecté les termes de ladite licence en intégrant le logiciel au sein d’une solution propriétaire, et que l’utilisation du logiciel par l’opérateur constituait une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle, l’éditeur a procédé à une saisie-contrefaçon auprès de l’opérateur puis l’a assigné en contrefaçon de droit d’auteur et en parasitisme.

Jugé irrecevable en première instance à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon et débouté de ses demandes pour parasitisme, l’éditeur de logiciel a interjeté appel.

En appel, la Cour d’appel admit la réclamation fondée sur le parasitisme mais déclara l’action en contrefaçon de l’éditeur irrecevable. Pour celle-ci, lorsque le fait générateur d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle résulte d’un manquement contractuel, seule une action en responsabilité contractuelle serait recevable par application du principe classique de non-cumul des responsabilités, selon lequel « le créancier d’une obligation contractuelle ne peut se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, quand bien même il y aurait intérêt, des règles de la responsabilité délictuelle » (Cass. Civ. 1ère, 11 janvier 1989, n°86-17323).

La première chambre civile de la Cour de cassation n’a pas suivi le raisonnement de la Cour d’appel suite au pourvoi de l’éditeur du logiciel, et a estimé que le principe de non-cumul des responsabilités n’était pas applicable à l’action en contrefaçon. Ce faisant, la Cour a cassé et annulé la décision au visa de l’article L. 335-3, alinéa 2, du code de la propriété intellectuelle, des articles 7 et 13 de la Directive n° 2004/48/CE, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle et de l’article 1er de la Directive n° 2009/24/CE, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur.

Après avoir explicité la teneur des textes, la Cour de cassation a rappelé la position de la CJUE, qui a retenu pour droit dans son arrêt C-666/18 du 18 décembre 2019, IT Development SA c/ Free Mobile, que « la directive [2004/48] et la directive [2009/24] doivent être interprétées en ce sens que la violation d’une clause d’un contrat de licence d’un programme d’ordinateur, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d’auteur de ce programme, relève de la notion d’ « atteinte aux droits de propriété intellectuelle », au sens de la directive [2004/48], et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national ».

Selon la Cour de cassation, la solution retenue par la cour d’appel placerait les donneurs de licence dans une situation moins favorable que d’autres titulaires de droits de propriété intellectuelle n’ayant pas consenti de droits par contrat, et ne leur permettrait pas de bénéficier de garanties indemnitaires suffisantes au regard des exigences des Directives.

En effet, en droit français, en cas d’inexécution de ses obligations nées du contrat, le débiteur peut être condamné à des dommages-intérêts, qui ne peuvent, en principe, excéder ce qui est prévisible ou ce que les parties ont prévu conventionnellement (ancien article 1147 code civil). De plus, contrairement à la saisie-contrefaçon, les mesures d’instruction de l’article 145 du code de procédure civile ne permettent pas la saisie réelle des marchandises, ni celle des matériels et instruments utilisés pour les produire ou les distribuer.

La Cour de cassation a donc rejeté le raisonnement de la cour d’appel en jugeant que la règle dunon-cumul des responsabilités ne s’applique pas à l’action en contrefaçon menée dans le contexte de la violation du contrat de licence. Celle-ci a ainsi affirmé le principe selon lequel le titulaire de droits de propriété intellectuelle qui consent une licence, dès lors qu’il ne bénéficie pas en droit français des garanties prévues par les directives de 2004 (2004/48) et de 2009 (2009/24) en agissant sur le seul fondement de la responsabilité contractuelle, est bien recevable à agir en contrefaçon en cas d’atteinte à ses droits résultant de la violation du contrat.

Cette décision de principe était attendue, et vient apaiser le débat sur le régime de responsabilité applicable aux violations d’un contrat de licence de logiciels, ce qui devrait permettre d’unifier les solutions des juges du fond divergeant sur le sujet (TJ Paris, 6 juillet 2021, n° 18/01602 ; CA Paris, 19 mars 2021, n° 19/17493).

Si les faits concernaient ici une licence de logiciel, la Cour a étendu par cet arrêt la possibilité d’agir en contrefaçon en cas de violation des dispositions d’un contrat de licence visant tous les droits de propriété intellectuelle. Les licenciés devront donc d’autant plus veiller à respecter les termes de leurs contrats de licence.  

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