Une série de contentieux a opposé les sociétés productrices de programmes de téléréalité à des candidats ayant participé auxdits programmes notamment afin d’obtenir la requalification de leur participation en contrat de travail à durée indéterminée d’une part et l’attribution de la qualité d’artistes interprètes d’autre part. Ce contentieux, prétendue manne pour les participants, a conduit la Cour de cassation à se pencher sur cette problématique nouvelle liée à l’évolution du genre télévisuel notamment pour apprécier la qualité d’artiste interprète des participants.
La cour d’appel de Paris avait considéré le 12 février 2008, suivie par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 3 juin 2009, que les participants à l’émission avaient fourni une prestation de travail exécutée sous la subordination de la société de production et ayant pour objet la production d’une « série télévisée ». La Chambre Sociale avait en revanche prononcé la cassation de l’arrêt concernant la condamnation du producteur à payer à chacun des participants une indemnité pour travail dissimulé.
Les parties avaient donc été renvoyées devant la Cour d’appel de Versailles qui, statuant par un arrêt du 5 avril 2011, avait confirmé la qualification de contrat de travail au regard de la prestation des participants mais refusé de leur attribuer la qualité d’artiste interprète.
La Cour de cassation était donc saisie d’un pourvoi principal formé par les participants pour se voir reconnaître la qualité d’artistes interprètes et d’un pourvoi incident formé par les producteurs du programmes pour examiner le moyen tiré de cette qualification de contrat de travail.
Le moyen du pourvoi incident est le premier examiné. Contestant l’existence du contrat de travail, il reposait sur un premier argument selon lequel le fait de se laisser filmer ne pouvait être assimilé à la fourniture d’une prestation, en l’absence de toute demande spécifique de la production, le seul rattachement à la valeur économique du programme produit ne pouvant suffire à retenir cette qualification. La seconde branche du moyen visait à écarter l’existence du contrat de travail dès lors que la participation du candidat est déclarée par ses soins comme étant à visée personnelle et non professionnelle, la rémunération perçue venant rétribuer l’exploitation à des fins commerciales des divers attributs de la personnalité du candidat.
La Première Chambre Civile rejette ce moyen en reprenant les arguments de l’arrêt de la Chambre sociale du 3 juin 2009. Elle rappelle que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ». Elle examine en suivant les différents éléments susceptibles de caractériser l’existence d’un lien de subordination. Parmi eux, « l’existence d’une « bible » prévoyant le déroulement des journées et la succession d’activités filmées imposées, de mises en scènes dûment répétées, d’interviews dirigées de telle sorte que l’interviewé était conduit à dire ce qui était attendu par la production », « le choix des vêtements par la production, des horaires imposés allant jusqu’à vingt heures par jour, l’obligation de vivre sur le site et l’impossibilité de se livrer à des occupations personnelles, l’instauration de sanctions, notamment pécuniaires en cas de départ en cours de tournage ». L’arrêt résume ces circonstances de fait à travers une « obligation de suivre les activités prévues et organisées par la société de production ».
Elle ajoute en outre qu’un lien de dépendance à l’égard de la société peut ressortir notamment du retrait des passeports et téléphones des participants. Reprenant les motifs de la Chambre Sociale, la Première Chambre Civile revient sur la finalité de la production, à savoir «la production d’un bien ayant une valeur économique» pour caractériser « l’existence d’une prestation de travail exécutée sous la subordination de la société de production, et ayant pour objet la production d’une « série télévisée ». La prestation est considérée fournie pendant un temps et dans un lieu sans rapport avec le déroulement habituel de la vie personnelle des candidats, pour prendre part à des activités imposées et à exprimer des réactions attendues, ce qui la distingue du seul enregistrement de leur vie quotidienne.
Le pourvoi principal portait lui sur l’attribution de la qualité d’artiste interprète aux participants. Un artiste interprète est défini à l’article L212-1 du CPI comme « la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre littéraire ou artistique (…) ». La Cour d’appel au visa de ce texte avait dénié aux participants de l’émission cette qualité, laquelle aurait eu pour incidence de leur appliquer la convention collective nationale des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision qui présente de nombreux avantages en termes de rémunération des exploitations principales et secondaires des programmes. Les fondements des participants visaient à prétendre à l’ajout par la Cour de critères au texte de l’article L212-1 du CPI notamment, la nécessité de « l’incarnation d’un rôle » par les participants, rôle devant consister dans l’interprétation d’un personnage autre que soi-même, alors que la Cour avait relevé l’existence d’une bible prévoyant entre autres le déroulement des journées des participants et un ensemble d’éléments factuels que les participants voulaient assimiler à de la direction d’acteurs comprenant comme cela est possible, un jeu d’improvisation, plus ou moins libre, guidé par une équipe de tournage, suivant un schéma narratif et une trame scénaristique imposée. Cette argumentation était portée par le fait que la Cour avait qualifié le programme de « série télévisée » sous entendant sa qualification d’œuvre de l’esprit.
La Première Chambre Civile approuve la Cour d’appel d’avoir écarté le statut d’artiste interprète et l’application de la convention collective nationale des artistes interprètes en considérant que « le métier d’acteur consiste à interpréter un personnage autre que soi-même (…), que les participants de l’émission n’avaient pas à interpréter une œuvre artistique, ni des personnages , (…), qu’ils n’avaient aucun rôle à jouer ni aucun texte à dire et qu’il ne leur était demandé que d’être eux-mêmes et d’exprimer leurs réactions face aux situations auxquelles ils étaient confrontée, (…) » et que « le caractère artificiel des situations et de leur enchaînement ne suffit pas à donner aux participants la qualité d’acteurs ».
Sans revenir sur la qualification de l’émission concernée et sa possible éligibilité à la protection par le droit d’auteur, la Cour de cassation note sans réserve que la prestation des participants n’implique aucune interprétation et rejette donc le pourvoi.
Le régime se construit: la tentation se travaille mais ne se joue pas !
Armelle FOURLON