- Liberté et souplesse en matière de préavis en cas de résiliation du contrat d’agent commercial pour faute grave de l’agent
La Cour d’appel de Rennes a rendu un arrêt le 20 juin 2023, dans le droit fil d’une de ses précédentes décisions datant de 2017, admettant que la faute grave de l’agent commercial le privant de l’indemnité compensatrice légale et, en principe, d’un préavis en bonne et due forme pouvait, en réalité, coexister avec l’octroi d’un préavis volontairement accordé par le mandant. Cette coexistence ne fait pas obstacle à la qualification de faute grave de l’agent commercial, ni aux conséquences qui lui sont attachées au profit du mandant.
Ainsi, le mandant qui, confronté à une ou plusieurs fautes graves de son agent commercial, décide pour cette raison de mettre un terme au contrat sans verser l’indemnité légale compensatrice peut, par égard envers l’agent commercial, lui accorder un délai de préavis qui n’est toutefois pas soumis aux conditions habituelles de ce type de préavis, notamment en termes de durée et de modalités.
L’octroi de ce préavis relevant de la seule liberté du mandant, aucun motif ne justifierait que cela anéantisse les effets de la faute grave commise, dont le mandant conserve le bénéfice.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes, l’agent commercial avait commis des manquements nombreux, graves et réitérés qui ont consisté en des propos agressifs, injurieux et insultants à l’égard des membres du personnel du mandant, en des critiques et des violations systématiques de la politique commerciale décidée par le mandant et de ses process administratif, en un manque de motivation frappant pour assurer la prospection en vue de la vente des produits dont il avait la charge. Tout cela révélait le désintérêt manifeste de l’agent commercial dans l’exécution de son mandat, étant relevé que ses multiples manquements s’étaient accompagnés d’une baisse régulière de chiffre d’affaires.
Le mandant avait donc résilié le contrat d’agent commercial pour faute grave avec effet, en principe, immédiat, mais dans un souci de gestion optimale de la situation ainsi créée par les défaillances multiples de son agent commercial, le mandant lui avait accordé de façon spontanée un préavis de quelques mois.
La Cour a considéré que ce préavis spontané n’était pas de nature à entrainer une renonciation de la part du mandant à se prévaloir de l’existence des fautes graves de son agent et de l’absence de versement de l’indemnité légale en découlant.
S’agissant enfin de la durée du préavis qui résulte exclusivement d’une manifestation unilatérale de volonté de la part du mandant, ce préavis n’est pas soumis aux dispositions légales du Code de commerce, notamment de préavis.
- La mission de négociation comme critère de qualification de l’agent commercial et les missions exclusives de cette qualification
Deux arrêts de la Cour d’appel de Rennes du 2 mai 2023 et de la Cour d’appel de Paris du 25 mai 2023 illustrent les conditions de la qualification d’agent commercial, le premier en se focalisant sur le critère du pouvoir de négociation comme critère de qualification et le second en fournissant une illustration des limites de cette qualification au regard des activités et des missions confiées.
Les deux arrêts rappellent au préalable que l’application du statut d’agent commercial dépend non pas du contenu et des termes employés par le contrat, ni de la qualification donnée par les parties, mais des conditions effectives d’exécution de son activité et de sa mission par le mandataire.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 mai 2023 porte précisément sur le contenu et le but de la mission de négociation de l’agent commercial comme critère de qualification. Le pouvoir de négociation consiste à faire en sorte que l’offre du mandant reçoive une acceptation du client ce qui peut passer par le démarchage de la clientèle, l’orientation de son choix en fonction de ses besoins, sa fidélisation par des actions commerciales ou encore la valorisation du produit. Le pouvoir de négociation ne vise pas seulement le pouvoir de modifier les prix des produits ou des services. Son but est l’apport de nouveaux clients au mandant et le développement des opérations avec les clients existants.
Dans cette affaire, la société AVD, agent commercial de la société Reilhe Martin, était chargée de commercialiser différentes gammes de volailles, gibiers et viandes sur un territoire donné. Sa mission consistait à démarcher les magasins, de s’entretenir avec les clients dans le but de favoriser la conclusion de ventes et de prendre leurs commandes pour les transmettre à son mandat : ces modalités ont conduit la Cour à retenir la qualification d’agent commercial.
Dans l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 2 mai 2023, la qualification d’agent commercial a été, à l’inverse, exclue au motif que la mission effectivement exercée par le mandataire dépassait la mission de l’agent commercial telle que définie par l’article L134-2 du Code de commerce. Elle contenait en effet des prestations de conseil, des prestations d’assistance sur les aspects opérationnels, stratégiques et financiers, et des prestations de recherche de partenaires commerciaux, d’investisseurs.
Les contrats que le mandataire était chargé de prospecter étaient des accords de partenariat, d’investissement et de financement non inclus dans la définition légale de l’agent commercial. En outre, le but de ces contrats était de permettre le développement certes commercial du mandant, mais également son développement « corporate » et « partenarial ». Enfin et au-delà des missions confiées qui excluaient à elles seule la qualification d’agent commercial, le mode de rémunération prévu était majoritairement forfaitaire et partiellement variable et le mandataire n’était pas indépendant puisque son représentant légal participait au directoire de la société mandante.