TGI Paris, 17ème ch., 8 septembre 2010
La fonctionnalité « google suggest » peut constituer le délit de diffamation à l’égard des personnes dont le nom est associé à des termes attentatoires à l’honneur et à la réputation.
En septembre 2008, le moteur de recherche accessible à l’adresse URL www.google.fr s’est doté de la fonctionnalité «google suggest» offrant ainsi aux internautes, à partir des premières lettres qu’ils saisissent, un menu déroulant comportant une liste de dix requêtes possibles, un clic sur la requête choisie les dispensant d’une saisie manuelle et les faisant accéder aux résultats. Cette fonctionnalité se voit adjoindre un complément : des recherches associées sont également proposées à partir des termes déjà saisis.
Une personnalité condamnée par un arrêt non définitif de la cour d’appel de Paris dans une affaire de moeurs a fait constater que la saisie de son nom se voyait associée aux termes : viol, condamné, prison, sataniste, violeur.
Ayant sollicité en vain la suppression de ces associations par lettre recommandée avec accusé de réception, cette personnalité a assigné à jour fixe devant le tribunal de grande instance de Paris, le directeur de la publication du site www.google.fr, les sociétés Google France et Google Inc. dans le cadre d’une action fondée sur le délit de diffamation résultant de l’association de son nom aux termes précités.
Développant un argumentaire fondé sur le caractère essentiellement technique et mathématique des procédés utilisés, pour proposer de telles suggestions, les défendeurs soutenaient que leur responsabilité ne pouvait être engagée.
Dans ses motifs, le tribunal analyse les explications relatives aux fonctionnalités en litige pour retenir que :
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les résultats des suggestions ne peuvent être présentés comme étant basés sur un calcul algorithmique neutre puisque la saisie des mêmes termes n’offre pas les mêmes résultats à partir des services « google suggest », « recherches associées » d’une part et sur un autre moteur de recherche concurrent d’autre part ;
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les items de recherche sont de nature à orienter la curiosité ou à appeler l’attention sur des thèmes vers lesquels l’internaute ne se serait pas tourné de son propre chef, ce qui tend ainsi à faire remonter en tête de la liste de recherches les termes les plus accrocheurs ;
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dans un jugement du 4 décembre 2009 rendu dans une procédure distincte sur la foi d’une note technique établie par les défendeurs, il a été affirmé que le moteur de recherche ne prenait pas en considération toutes les requêtes des internautes afin d’éviter celles comportant des termes grossiers, ceci constituant la reconnaissance d’une possibilité de tri préalable par le moteur de recherche du fait d’une intervention humaine, propre à rectifier des suggestions proposées ;
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indépendamment de cette note remise dans une autre procédure, le moteur de recherche admet qu’une intervention est possible dans le cadre d’une politique de suppression des contenus liés à la lutte contre la pornographie, la violence et la haine ;
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l’atteinte à la liberté d’expression du fait d’une intervention judiciaire ne peut être sérieusement invoquée, le fait de rétablir un particulier dans ses droits en ordonnant la suppression des suggestions à travers les fonctionnalités proposées ne privant nullement les internautes d’accéder à leur seule initiative et sans y être incités, aux contenus référencés ;
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les défendeurs n’ont pas ignoré la situation dénoncée, ayant été destinataires de plusieurs courriers recommandés.
Après avoir rappelé la définition du délit de diffamation, les premiers juges notent que l’association du nom du demandeur à des mots ou qualificatifs tels que ceux rappelés plus haut, est de nature à orienter les internautes vers des faits qu’ils ne soupçonnaient pas et des recherches vers lesquelles ils n’avaient pas l’intention de se tourner a priori.
Les affichages non sollicités du nom et des termes cités font peser sur l’intéressé une suspicion directe de s’être au moins trouvé compromis dans une affaire de mœurs.
Le tribunal qualifie ces propositions comme des insinuations de faits précis susceptibles de preuve et de nature à jeter l’opprobre sur la personne désignée, sans qu’il puisse être retenu que ces suggestions sont uniquement faites pour être associées à la lecture des articles auxquelles elles renvoient.
Les défendeurs sont jugés mal fondés à invoquer l’excuse de bonne foi alors qu’aucun des quatre critères pour la retenir (but légitime, enquête sérieuse, prudence dans l’expression, absence d’animosité personnelle) n’est invoqué.
La responsabilité du directeur de la publication est contestée sur le fondement de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1881, les défendeurs arguant du fait que les messages font l’objet d’une fixation préalable. En vain. Les juges rappellent que les propositions des termes employés émanent des défendeurs, selon leur description technique, à partir d’une base de données qui leur est propre, et ce afin de mettre en place un système anticipant les requêtes des internautes, le critère de fixation préalable ne pouvant de ce chef être retenu.
La suppression des suggestions est ordonnée et les mesures de réparation sont limitées à l’octroi d’un euro de dommages-intérêts et à 5000 euros au titre de l’article 700 du CPC.
C’est une nouvelle fenêtre de tir qui s’ouvre ici pour remettre en cause les fonctionnalités des services de suggestion mis en œuvre par les moteurs de recherche sur internet, notamment pour le référencement de noms de personnes physiques ou morales associés au traitement de faits d’actualité ou d’affaires criminelles ou délictuelles ayant fait l’objet de décisions de justice non définitives.
Armelle FOURLON