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En 2020, Illumina avait annoncé son projet d’acquisition du contrôle exclusif de Grail. Cette opération ne devait être soumise à aucun contrôle de concentration européen ou national en l’absence de dépassement des seuils de chiffre d’affaires.

Pour autant, la Commission européenne avait informé les deux sociétés concernées qu’elle examine l’opération et que réalisation de l’opération est soumise à l’obligation de suspension prévue par le règlement sur les concentrations.

Plusieurs autorités nationales avaient en effet soumis une demande de renvoi à la Commission européenne de cette opération, et ce en vertu de l’article 22 du règlement n° 139/2004 relatif aux concentrations (qui, rappelons-le, permet à ces autorités de renvoyer à la Commission les opérations qui ne sont pas de dimension européenne mais qui affectent le commerce entre Etats membres et menacent d’affecter significativement la concurrence).

Illumina, contestant ce renvoi, avait alors introduit un recours devant le Tribunal de l’UE.

Pour rejeter ce recours, le Tribunal de l’UE avait considéré que le renvoi de l’autorité française de la concurrence permettait à la Commission de se reconnaître compétente pour contrôler cette opération[1].

C’est dans ce contexte que Illumina et Grail ont décidé de porter l’affaire devant la Cour de Justice pour demander l’annulation de cet arrêt du Tribunal.

Il est intéressant de rapporter ici les conclusions de l’avocat général Emiliou, sans attendre la décision de la Cour de justice.

En effet, par ses conclusions, ce dernier propose d’annuler l’arrêt du Tribunal.

Selon l’avocat général, il est erroné de déduire de l’article 22 la possibilité pour les autorités nationales de demander à la Commission d’examiner une concentration qui n’atteint pas les seuils tant nationaux qu’européens.

Une telle interprétation, particulièrement large, serait contraire aux principes fondamentaux du droit de l’Union, de la logique du régime du contrôle des concentrations dans l’Union européenne et du libellé, de la genèse, du contexte et de la finalité de cet article.

Cette interprétation entraînerait en effet une extension très importante du champ d’application du règlement sur les concentrations et de la compétence de la Commission, puisque celle-ci obtiendrait le pouvoir de contrôler quasiment toute concentration ayant lieu n’importe où dans le monde, indépendamment du chiffre d’affaires et de la présence des entreprises concernées dans l’Union ainsi que de la valeur de l’opération, et ce, à tout moment, y compris bien après la réalisation de la concentration.

En parallèle, en France, un projet de loi de simplification, adopté en conseil des ministres et transmis au sénat pour discussion à partir du 3 juin, propose le rehaussement des seuils de notification, ce qui, selon l’Autorité de la concurrence, permettrait de contrôler environ 30% d’opérations en moins et de garantir une meilleure allocation de ses ressources.

L’objectif de ce projet est de désencombrer les services des concentrations de l’Autorité, leur permettant de se focaliser sur les opérations stratégiques.

Ainsi, selon le projet de loi, les seuils exigés pour soumettre une opération au contrôle de l’Autorité seront rehaussés de la manière suivante :

  • le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 250 millions d’euros ; et
  • le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 80 millions d’euros.

Les seuils applicables aux parties à la concentration exploitant un ou plusieurs magasins de détail seraient également relevés, respectivement, à 100 millions d’euros et 20 millions d’euros.

Les seuils applicables aux opérations de concentration dans les départements et collectivités d’outre-mer ne seraient quant à eux pas modifiés.

En revanche, malgré le souhait de l’Autorité, ce projet de loi n’instaurerait pas de procédure de contrôle hybride, à l’image du modèle suédois, lui permettant également un contrôle ex post des opérations pour lesquelles elle identifie des préoccupations substantielles de concurrence. Tel serait par exemple le cas lorsqu’une entreprise, détenant une position importante sur le marché, acquiert progressivement les concurrents plus faibles du marché, ou en cas de plainte de clients ou de concurrents relative à une opération.

Ces deux actualités reflètent la volonté des autorités de concurrence de contrôler les opérations qu’elles considèrent comme stratégiques et de le faire plus efficacement.

A voir si les décisionnaires en la matière (CJUE au niveau de l’UE, quant à l’interprétation de l’article 22, et le législateur en France, quant aux seuils de notification) suivront.


[1] Tribunal, 13 juillet 2022, n° T-227/21

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