CA Paris, Pôle 5 chambre 2, 22 novembre 2024, n° 22/12941
Dans cette affaire, l’un des coproducteurs du film intitulé « Mont-Dragon » (sorti en salle en 1970) avait récupéré l’intégralité des droits de producteur délégué en exerçant son droit de préemption, lorsque le réalisateur avait souhaité acquérir les droits de l’autre coproducteur en 2014.
Après le décès du réalisateur, son héritière s’est opposée au producteur du film – devenu seul titulaire des droits de production depuis 2014 et assumant dès lors la responsabilité du producteur délégué -et sollicitait la résiliation judiciaire du contrat de cession de droits d’auteur du réalisateur du film aux torts du producteur.
L’héritière invoquait au soutien de sa demande, plusieurs griefs relatifs au défaut d’exécution par le producteur de ses obligations telles que définies aux articles L132-27 et L132-28 du Code de la propriété intellectuelle, à savoir l’exploitation du film conforme aux usages de la profession et la reddition des comptes.
Pour justifier de l’absence d’exploitation, le producteur invoquait un obstacle juridique né de l’absence de renouvellement des droits d’exploitation du roman dont le film était tiré, qu’il imputait à l’éditeur.
Il mettait également en avant des difficultés techniques du fait de l’indisponibilité du matériel, ayant été dans l’incapacité de localiser et récupérer les supports d’exploitation existants.
Après examen des pièces versées au débat, la Cour rejette les arguments. Elle relève d’une part qu’entre la date où le producteur est devenu titulaire de l’intégralité des droits sur le film et la date à laquelle la cession des droits d’adaptation avait pris fin, aucune exploitation n’avait été effectuée. Les juges soulignent d’autre part, que le producteur ne justifiait pas avoir entrepris de démarches pour renouveler les droits d’adaptation avant d’avoir été mis en demeure par l’ayant-droit préalablement à l’assignation.
S’agissant des matériels, alors que le producteur soutenait qu’il n’avait pas pu localiser tous les matériels, la Cour sanctionne le fait qu’il ne justifiait pas de démarches sérieuses pour les trouver.
L’absence de démarche active du producteur constitue donc un manquement à ses obligations.
S’agissant de l’obligation de rendre compte, le producteur soutenait que l’ayant-droit avait parfaitement connaissance de l’absence d’exploitation du film. Dès lors, l’absence de reddition de comptes ne pouvait justifier la résiliation du contrat d’auteur.
La Cour écarte l’argument en jugeant que l’obligation essentielle de reddition de comptes au moins une fois l’an, édictée par l’article L132-28 du CPI, n’est pas subordonnée à l’exploitation du film car elle permet à l’auteur d’être informé de l’exploitation, ou de l’absence d’exploitation.
L’ayant-droit invoquait enfin l’absence de restauration du film. Pour sa défense, le producteur soutenait que compte tenu des revenus tirés de l’exploitation du film, les efforts à réaliser en vue d’une restauration n’avaient pas de perspectives de rentabilité.
La Cour juge qu’en s’abstenant de restaurer le film, empêchant de ce fait sa diffusion, le producteur a manqué à son obligation d’exploitation conforme aux usages de la profession.
La Cour rappelle les dispositions de l’article II-1 de l’accord professionnel du 3 octobre 2016 sur l’obligation de recherche d’exploitation suivie relative aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles pris en application de l’article L132-27 du CPI qui prévoit que « le producteur fait ses meilleurs efforts pour rendre l’œuvre disponible, dans ses formats et supports adaptés aux modes d’exploitation ciblés, en tenant compte des usages du marché et des évolutions technologiques ».
En l’espèce, la Cour relève que le producteur avait parfaitement connaissance du fait que l’exploitation du film imposait sa restauration puisque le réalisateur avant son décès lui avait fait part de son souhait de retrouver ses droits sur le film afin de procéder à cette restauration en vue d’une exploitation sous forme de DVD. Le producteur s’y était opposé et avait exercé son droit de préemption lui permettant d’acquérir l’intégralité des droits sur le film.
La Cour confirme le jugement de première instance. Elle juge que les manquements établis sont d’une gravité telle qu’ils rendent impossible le maintien du contrat de cession des droits d’exploitation et justifient ainsi le prononcé de sa résiliation judiciaire aux torts exclusifs du producteur.
Il s’agit d’une application stricte des dispositions du CPI impliquant de la part des producteurs d’œuvres audiovisuelles qu’ils justifient de démarches actives.