TJ Lille, 1ère Ch., 6 septembre 2024, n° 22/00505
En 2014, un artiste recouvre de fragments de miroirs un blockhaus appartenant à l’Etat situé sur la plage d’une commune du Nord de la France, qu’il dénomme « Réfléchir ». A sa demande, la Sous-Préfecture l’autorise à parachever et à sécuriser l’installation. La Sous-Préfecture lui rappelle néanmoins que la réalisation de l’installation s’étant faite sans autorisation préalable, il lui appartient de régulariser la situation en déposant auprès du maire de la commune, un dossier de déclaration de travaux.
L’artiste se conforme à cette demande. La commune prend en 2015 un arrêté de non-opposition à la déclaration préalable de travaux sous réserve d’effectuer certaines prescriptions de sécurisation.
En 2016, la Communauté Urbaine propose à l’artiste la prise en charge de la totalité des frais relatifs aux travaux de mise en sécurité du blockhaus en contrepartie de la cession à titre non exclusif et à des fins non commerciales des droits de diffusion et de reproduction de l’image du blockhaus « Réfléchir » dans le cadre de ses missions de service public et de promotion du territoire.
L’artiste n’y donne pas suite.
Néanmoins, l’image du blockhaus est exploitée sur différents supports, brochures, site internet de la mairie, expositions à l’office du tourisme ou dans des vidéos diffusées sur Internet et sur les réseaux sociaux.
Quatre ans plus tard en 2020, l’artiste propose une cession annuelle des droits d’auteur de l’œuvre « Réfléchir » au profit de la région Hauts de France, de la Communauté Urbaine et de la commune. Un mois plus tard, il adresse à la Communauté Urbaine et à l’office du tourisme de la localité une mise en demeure de lui payer la somme de 300.000 euros au titre de l’exploitation « commerciale continue, consistante et régulière » de son œuvre de 2015 à 2020.
Invoquant l’exploitation illicite de l’image de l’œuvre « Réfléchir » de 2015 à 2020, l’artiste assigne une première fois en référé en 2021. Le juge des référés dit n’y avoir lieu à référé et renvoie les parties à se pourvoir sur le fond du litige. Une seconde assignation est ensuite délivrée fin 2021 par l’artiste aux fins de condamnation en réparation du préjudice qu’il subit du fait de l’exploitation illicite de l’image de son œuvre.
Entretemps, l’installation est retirée en 2021.
Deux principaux arguments sont avancés par les défendeurs.
Tout d’abord, l’absence de protection par le droit d’auteur de l’installation en raison du caractère illicite du fait de l’absence d’autorisation du propriétaire.
Le tribunal écarte ce moyen en rappelant que le Code de la propriété intellectuelle ne conditionne pas la protection au titre des droits d’auteur à la licéité de l’œuvre, et particulièrement à l’autorisation du propriétaire du support. Les juges du fond rappellent qu’en vertu de l’article L. 111-3 du Code, la propriété incorporelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel, en sorte que l’auteur dispose de droits sur son œuvre, indépendamment du support. En l’espèce, si l’installation a été réalisée sans autorisation, une régularisation est intervenue a posteriori et les autorisations données n’ont pas été remises en cause.
Au regard de l’exploitation illicite de l’œuvre invoquée par l’artiste, les défendeurs se prévalaient de deux exceptions au monopole de l’auteur. D’une part, l’exception légale de représentation d’une œuvre d’art graphique à des fins d’information et d’autre part, l’exception jurisprudentielle de la théorie de l’arrière-plan. Après examen approfondi des photographies et vidéos versées aux débats, ces deux exceptions sont écartées par les juges du fond.
Le tribunal retient, en premier lieu que l’ensemble des représentations visuelles s’inscrivent dans une véritable démarche de promotion du territoire, qui ne saurait se confondre avec de l’information immédiate en lien avec l’œuvre, d’autant que le nom de l’artiste n’est pas mentionné.
Par ailleurs, le tribunal souligne que dans la mesure où l’artiste a fait le choix de créer son œuvre sur un bien appartenant à l’Etat, dans un espace public touristique, lieu de villégiature, il s’expose nécessairement à ce que son œuvre soit incidemment reproduite sans être le sujet principal traité.
Mais en l’espèce, les juges relèvent que l’installation est bien le sujet principal de ces représentations, dans le cadre d’une promotion du territoire valorisant précisément son patrimoine culturel. Il est présenté souvent en premier plan, parfois sans que l’on ne distingue ni la mer ni la plage, parfois aussi représenté dans des plans cadrés sur une seule partie de l’œuvre. Les commentaires qui accompagnent ces présentations mentionnent tous principalement voire uniquement l’œuvre, en soulignant son caractère spectaculaire et surprenant. Dans ce contexte, le tribunal juge que la théorie de l’accessoire ne saurait s’appliquer.
L’action en contrefaçon pour exploitation de l’œuvre sans autorisation de l’artiste est jugée fondée.
Il sera enfin souligné que le tribunal écarte toute solidarité entre les défendeurs jugeant les manquements reprochés distincts et les condamne à verser à l’artiste une indemnité distincte en réparation du préjudice subi à hauteur de 10.000 € pour l’office du tourisme, de 5.000 € pour la Communauté Urbaine, de 5.000 € pour l’agence de développement économique et de 3.000 € pour la commune.