La société Specsavers est propriétaire d’une chaîne de magasins d’optique au Royaume Uni. Elle est titulaire de la marque verbale « Specsavers », de deux marques semi-figurativesetreproduisant cet élément verbal associé à un logo – composé de deux ellipses évoquant une paire de lunettes – et d’une marque entièrement figurative composée du logo seul
La société Asda, chaîne de supermarchés et principale concurrente de Specsavers, lance en octobre 2009 une campagne publicitaire dans laquelle elle utilise les slogans « Be a real spec saver at Asda » et « Spec savings at Asda » ainsi que deux logos composés de deux ellipses évoquant également une paire de lunettes:
La société Specsavers a intenté une action contre la société Asda sur le fondement de l’atteinte à ses marques communautaires. Le Tribunal de première instance anglais a considéré qu’il n’y avait pas d’atteinte et a prononcé la déchéance de la marque figurative pour défaut d’usage. En effet, la société Specsavers n’utilise pas la marque figurative seule, mais l’associe systématiquement au terme « Specsavers ». La société Specsavers interjette appel de cette décision.
Si la cour d’appel retient l’atteinte aux marques verbales et semi-figuratives détenues par Specsavers, elle sursoit en revanche à statuer sur la déchéance de la marque figurative et soumet à la Cour de Justice plusieurs questions préjudicielles dont la suivante : lorsque le titulaire d’une marque figurative et d’une marque verbale utilise les deux ensemble, cet usage constitue-t-il un usage valable de la marque figurative seule, y compris si l’ensemble tel qu’utilisé est lui aussi déposé à titre de marque ?
La cour d’appel anglaise demande également à la Cour de Justice si, lorsqu’une marque communautaire est enregistrée en noir et blanc, l’usage de cette marque en couleur impose au juge de prendre en compte cette couleur dans l’appréciation du risque de confusion entre la marque enregistrée et le signe litigieux. En l’espèce, le titulaire de droits faisait usage des marques semi-figuratives en vert, couleur reprise par le défendeur.
En premier lieu, la Cour de Justice rappelle que l’usage d’une marque sous une forme qui diffère de la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée est considéré comme un usage sérieux dès lors que le caractère distinctif de la marque telle qu’enregistrée n’est pas altéré.
La Cour considère ainsi que la condition d’usage sérieux peut être satisfaite lorsqu’une marque figurative n’est utilisée qu’en combinaison avec une marque verbale, y compris lorsque cette combinaison est elle-même déposée par ailleurs, dès lors que les différences entre la marque telle qu’utilisée et la marque telle qu’enregistrée n’altèrent pas le caractère distinctif de la marque enregistrée. En l’espèce l’usage du signe doit donc être considéré comme un usage sérieux de la marque
Le fait que le signe semi-figuratif soit également déposé à titre de marque est sans incidence. Il convient à cet égard de rappeler que selon la jurisprudence antérieure de la Cour de Justice, lorsque le titulaire d’une marque procédait au dépôt d’une autre marque reprenant le première, en la modifiant par des éléments qui n’en altèrent pas le caractère distinctif, l’usage de l’une de ces marques ne pouvaitt servir à justifier de l’usage de l’autre (CJUE 13 Septembre 2007, Il Ponte Finanziaria/OHIM – F.M.G Textiles, C-234/06 P, Point 86). La Cour de Justice avait déjà nuancé cette position dans un arrêt du 25 octobre 2012 (Rintisch, C-553/11).
Sur le second point, la Cour rappelle que l’utilisation de la couleur par le titulaire affecte la perception de la marque par le consommateur et accroît ainsi le risque de confusion entre la marque et le signe litigieux. La comparaison des signes doit donc également s’opérer tel qu’utilisé par le demandeur.
Par conséquent, la Cour retient que l »utilisation par un tiers de la couleur utilisée par le titulaire de marques doit être pris en considération dans l’appréciation du risque de confusion, quand bien même les marques du demandeur seraient enregistrées en noir et blanc.
Cependant, la Cour de Justice précise également que si le signe litigieux utilisé par le défendeur est lui-même associé, dans l’esprit d’une fraction importante du public, à la couleur ou à la combinaison de couleurs particulières qu’il utilise pour la représentation de ce signe, ce facteur doit être pris en compte dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion ou du profit indu au sens de cette disposition.
Anne Sophie LABORDE
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