Bien que s’inscrivant dans un contexte technique évolutif, la jurisprudence sur le statut légal des moteurs de recherche à raison du contenu affiché sur leur site est relativement constante. Ces derniers se voient généralement assimilés à des hébergeurs et bénéficient ainsi de la responsabilité limitée prévue à l’article 6-I-2° de la LCEN, dont découle l’absence d’obligation de contrôle a priori du contenu. Toutefois, la jurisprudence contemporaine a tempéré le caractère absolu de cette absence de contrôle, mouvance dans laquelle s’inscrit le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 6 novembre 2013.
En l’espèce, 9 photos tirées d’une vidéo représentant le demandeur dans « des scènes d’intimité sexuelle », déjà jugées attentatoire à sa vie privée, apparaissaient sur les pages de résultats de Google Image. Ces images réapparaissant systématiquement, malgré les demandes répétées de retrait faites par le demandeur, ce dernier assigne Google, demandant la suppression des images, l’interdiction de les laisser réapparaitre pendant 5 ans, et 50.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Outre le retrait des 9 images visées, Google se voit ordonner de faire cesser l’apparition des images sur le site pendant une durée de 5 ans, le Tribunal se fondant sur les articles 6-I-8° (autorisant l’autorité judiciaire à prendre « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage ») et 6-I-7° alinéa 2 (prévoyant qu’une activité « de surveillance ciblée et temporaire » peut être imposée à un hébergeur par le juge) de la LCEN.
En application du principe de « take down, stay down », qui tendait à obliger l’hébergeur à mettre en place une surveillance particulière pour éviter la réapparition de contenus illicites qui lui avaient été notifiés (notamment, Zadig production c/ Google, TGI Paris 17/10/2007 ; INA c/ Youtube, TGI Créteil 14 décembre 2010), des mesures de filtrages avait déjà été imposées, et ce sans limitation temporelle (affaire Flach Film c/Google, TC Paris 20/02/2006 ; CA Paris 9/04/2010). Cependant, la Cour de cassation avait sonné le glas de ces pratiques en 2012, en censurant plusieurs arrêts imposant des mesures de filtrage. La Cour considérait qu’en l’absence de connaissance du caractère illicite et de localisation du contenu (à défaut de notification), l’hébergeur était alors soumis à une obligation générale de surveillance, et que les mesures étaient disproportionnées en l’absence de limitation temporelle (C.cass 1er civ., 12 juillet 2012, N°11-15.165 ; N°11-15.188 ; N°11-13.666).
Au niveau européen, la CJUE avait précisé, au contraire, que des mesures de filtrage sont possibles, mais doivent préserver un juste équilibre entre respect des droits du demandeur et des droits fondamentaux, notamment la libre entreprise et la liberté de communiquer des informations (CJUE Scarlet c./ SABAM, 24/11/2011 ; Sur la possibilité de mesures de filtrage proportionnées, voire les conclusions de l’avocat général de la CJUE dans l’affaire UPC, n° C-314/12).
Le jugement procède donc à une synthèse des exigences de la LCEN et du droit européen en matière de mesures de filtrage à l’encontre d’un hébergeur, résistant ainsi partiellement à la solution des arrêts de la Cour de cassation du 12 juillet 2012.
En l’occurrence, le Tribunal retient que les 9 images litigieuses sont visées dans les conclusions, et que leur illicéité a été judiciairement reconnue, pour conclure qu’il n’est pas nécessaire de fournir la localisation des images sur le réseau (l’URL). Il retient aussi que la mesure est proportionnée : elle poursuit un but légitime, est de nature à supprimer ou réduire l’atteinte, et n’est pas de nature à causer un « surfiltrage », contrairement à la mesure de l’arrêt Scarlet où le prestataire technique devait « identifier les fichiers contenant des œuvres sur lesquelles existaient des droits de propriété intellectuelle et lesquels, parmi ces fichiers étaient illicitement échangés ». Ainsi, « il en va bien différemment des neufs images incriminées, précisément identifiées et dont le caractère illicite est reconnu ».
De plus, le jugement retient que des filtrages à priori sont déjà en place sur le site de Google Image, notamment pour bloquer les images de propagande nazie, et que l’implémentation du filtrage demandé serait peu couteuse et à la portée d’un programmateur moyennement expérimenté. Il conclut que la mesure ne porte « aucune atteinte disproportionnée aux biens de la défenderesse au regard de l’atteinte au droit du demandeur », et qu’elle « ne se heurte à aucun obstacle matériel ou technique ». Cependant, la mesure préconisée par le demandeur n’étant pas limitée temporellement, le Tribunal la soumet donc à une durée de 5 ans.
Le Tribunal remet également en cause l’application de Google, du régime des hébergeurs. En effet, l’élaboration de l’algorithme de recherche de Google résulte d’un choix éditorial, bien qu’il ne porte pas sur le contenu. Le Tribunal laisse donc entendre que Google devrait être soumis à la responsabilité de droit commun : « il demeure que ce choix éditorial, même s’il ne porte pas sur les contenus eux-mêmes, ce qui n’est pas démontré par la société défenderesse, ne correspond pas au rôle neutre et passif qui implique que l’hébergeur, au sens de l’article 6 de la LCEN et de l’article 14 de la Directive européenne 2000/31, n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées ».
Le Tribunal ne s’aventure pas à affirmer que Google Image serait soumis à la responsabilité des éditeurs, mais observe qu’à minima Google ne peut se prévaloir de la responsabilité limitée des hébergeurs en raison de sa connaissance de l’illicéité du contenu : du fait de la notification à maintes reprises par le demandeur, Google avait connaissance de l’illicéité de ces images. Google est ainsi condamné à 1 euro symbolique « compte tenu de la particularité de cette affaire ».
Florent LALLEMANT
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Confirmation en appel du statut d’éditeur d’un site de vente aux enchères et de parking de noms de domaine