Le Tribunal a rendu un jugement très remarqué dans l’action engagée par les syndicats de producteurs et de distributeurs de films sur le fondement de l’article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle à l’encontre des principaux fournisseurs d’accès et moteurs de recherche, les demandeurs ayant délibérément choisi de ne pas assigner les sites de téléchargement et de streaming illicite.
Le Tribunal rappelle le caractère particulier de cette procédure par laquelle, saisi en la forme des référés, il peut ordonner toute mesure propre à prévenir ou faire cesser une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier.
En l’espèce, compte tenu du caractère novateur de la procédure, le jugement a été prononcé par une formation constituée de trois vice-présidents du Tribunal.
En premier lieu, le Tribunal retient que les syndicats professionnels sont recevables à engager cette action pour la défense des intérêts de la profession qu’ils représentent, sans que l’intervention des victimes de contrefaçon soit donc nécessaire.
Le Tribunal retient, en second lieu, que les demandeurs établissent suffisamment que les sites visés proposaient le visionnage des films sans avoir obtenu l’autorisation des ayants-droit, ce que ne contestaient d’ailleurs pas les défendeurs.
Ceux-ci soulevaient principalement une atteinte au principe de proportionnalité, une efficacité limitée de la mesure car susceptible de contournement et une atteinte aux principes de la liberté d’expression et de la liberté d’entreprendre.
Alors que les fournisseurs d’accès n’opposaient qu’une défense de principe, les moteurs de recherche faisaient valoir qu’ils ne sont pas des intermédiaires de l’internet, mais que, à la lumière de la directive 2001/29/CE, l’article L.336-2 devait être interprété comme limitant l’action aux services utilisés pour la transmission de la contrefaçon, ce que ne sont pas les moteurs de recherche.
Le Tribunal retient que les moteurs de recherche ont bien la qualité d’intermédiaire au sens de la directive et qu’ils contribuent à l’accès aux sites contrefaisants.
Le Tribunal ordonne donc aux fournisseurs d’accès d’empêcher l’accès aux sites déterminés et aux moteurs de recherche de prendre toutes mesures en vue d’empêcher l’apparition de réponses et de résultats envoyant vers l’une des pages des sites visés.
Le Tribunal a retenu que les mesures ordonnées apparaissaient comme les plus appropriées, les plus efficaces et les moins susceptibles d’entraîner des effets collatéraux non désirés et préjudiciables à d’autres intérêts et qu’elles constituaient un moyen efficace de lutte contre la mise à disposition par les sites des films.
Tout en mentionnant les résultats à assurer, le Tribunal laisse aux fournisseurs d’accès et aux moteurs de recherche le choix des mesures adéquates.
A l’issue de cette longue procédure, engagée en décembre 2011, le Tribunal fait donc droit aux mesures de filtrage demandées par les producteurs.
Certaines demandes des producteurs sont toutefois rejetées.
En premier lieu, ceux-ci demandaient que soit ordonné aux moteurs de recherche et fournisseurs d’accès de prendre les mêmes mesures contre les sites miroir ou évolution des sites litigieux ; le Tribunal retient qu’il n’existe pas d’outil juridique permettant d’ordonner une telle mesure, mais il invite les parties à assurer un suivi de l’exécution des mesures ordonnées et une collaboration à un système d’actualisation ;en affirmant que les mesures ordonnées ont un caractère provisoire, il invite les parties à lui en référer en cas de difficulté ou d’évolution du litige.
Enfin, alors que les demandeurs sollicitaient que les mesures soient mises à la charge financière des intermédiaires, le Tribunal estime qu’il n’existe pas de disposition légale particulière et que les coûts des mesures ordonnées ne « peuvent être mis à la charge des défendeurs qui ont l’obligation de les mettre en œuvre ». Le Tribunal ne statue toutefois pas réellement sur ce point en invitant les fournisseurs d’accès et moteurs de recherche à solliciter « s’ils le souhaitent » le paiement des frais, eu égard aux mesures effectivement prises et aux dépenses spécifiques engagées.
Selon les dernières informations, les demandeurs ont annoncé leur intention de former appel.
Il convient de relever que, quasi-simultanément, le juge anglais a, par une décision du 13 novembre 2013, ordonné, à la requête des six principaux studios américains, aux six principaux fournisseurs d’accès à internet de bloquer l’accès à deux sites d’hyperliens permettant le téléchargement de films sans l’autorisation des ayants-droit.
Eric LAUVAUX