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TC Paris, RG : 2013000519, 28 janvier 2014

Le Tribunal de commerce de Paris a, pour la première fois en droit français, condamné la société Google Inc. sur le fondement de la loi du 6 janvier 1978, dite « Informatique et Libertés », en raison de la suggestion de requêtes comportant des termes considérés comme attentatoires à la réputation d’un individu.

En vertu de l’article 1er de la loi « Informatique et Libertés », l’informatique « ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques. ».

A cet égard, le législateur a accordé aux individus plusieurs prérogatives aux fins de les protéger des potentielles dérives résultant du traitement de leurs données à caractère personnel. Tel est notamment le cas du droit d’opposition, prévu par l’article 38 de cette même loi, qui permet à toute personne physique de « s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement. ».

La loi définit les données personnelles comme « toute information relative à une personne physique identifiée, directement ou indirectement, par référence (…) à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres ». Le traitement de données à caractère personnel est, quant à lui défini de manière large puisqu’il couvre : « toute opération ou tout ensemble d’opérations portant sur de telles données, quel que soit le procédé utilisé, et notamment la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la conservation, l’adaptation (…), la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition (…). »

Il s’agissait dans cette affaire de déterminer si la fonctionnalité Suggest – dont l’objet est de proposer, de manière automatique et systématique, en association avec les termes de la requête, les termes compris dans les requêtes antérieures des internautes – constituait un traitement de données à caractère personnel, et si, par conséquent, la loi « Informatique et Libertés » était susceptible de s’appliquer au cas d’espèce.

Cette question avait déjà été examinée par le Tribunal de grande instance de Paris qui avait estimé, dans un jugement rendu le 12 juin 2013, que la loi « Informatique et Libertés » n’avait pas vocation à s’appliquer dès lors que le service de suggestion du moteur de recherche ne constituait pas un fichier de données à caractère personnel, les termes suggérés étant dépourvus des caractères de stabilité et de structure imposés par ladite loi.

Le Tribunal de commerce de Paris adopte une position contraire en retenant que la loi « Informatique et Libertés » s’applique à ce service et a ainsi condamné Google Inc. en raison de la suggestion de termes considérés comme portant atteinte à la réputation d’un individu.

En l’espèce, un galeriste parisien, s’était aperçu que ses nom et prénom étaient automatiquement accolés à plusieurs termes qu’il considérait comme préjudiciables à son image et à sa réputation – renvoyant implicitement à une condamnation pénale dont il avait fait l’objet dans le passé. Ces associations se retrouvaient également au sein des « Recherches associées » de Google, habituellement proposées en bas de page des résultats de recherche.

Faute de réponse favorable du moteur de moteur de recherche – à qui il demandait d’effectuer la suppression des suggestions litigieuses – le galeriste a assigné Google Inc. devant le Tribunal de commerce de Paris.

A l’appui de son action, celui-ci soutenait que l’affichage automatique et systématique des termes négatifs en association avec son nom constituait un traitement de ses données à caractère personnel, portant atteinte à son image et sa réputation, auquel il n’avait par ailleurs pas donné son accord.

La société Google Inc., quant à elle, considérait que son service ne pouvait être perçu comme tel dès lors que l’affichage des mots-clés résultait des recherches antérieures des internautes et non de sa volonté, et qu’elle ne disposait, par ailleurs, d’aucun moyen technique ou matériel situé en France destiné à la gestion de données à caractère personnel.

Les juges ont néanmoins retenu que l’affichage des nom et prénom du galeriste en association avec les termes litigieux constituait bien un traitement de données à caractère personnel en ce qu’il permettait une « communication par transmission » et une « diffusion » de ces données, telles que prévues par la loi.

Cependant, considérant que, selon la loi, le responsable d’un traitement de données à caractère personnel est la personne qui détermine ses finalités et moyens, Google Inc. soutenait qu’elle ne pouvait être qualifiée comme tel, l’affichage des mots-clés étant le résultat d’un processus automatique, issu d’un algorithme, exclusif du choix délibéré et conscient de l’exploitant du moteur de recherche.

Les juges n’ont pas retenu cet argument, reconnaissant à Google Inc. la qualité de responsable du traitement des données à caractère personnel dans la mesure où elle « a bien élaboré l’algorithme qui procède au traitement des données personnelles en litige, qu’elle a décidé quelles seraient les données traitées, et dans quel but, (…) elle effectue un tri préalable entre les requêtes enregistrées sur la base de données, puisqu’il n’est pas contesté qu’elle a pris les dispositions nécessaires pour que soient exclus les termes pornographiques, violents ou d’incitation à la haine, qui pouvaient mettre en cause sa responsabilité. ».

Dès lors, la loi « Informatique et Libertés » avait, selon les juges, vocation à s’appliquer au cas d’espèce et le galeriste pouvait se prévaloir de son droit d’opposition en exigeant la suppression de l’association des termes objets du litige avec son patronyme.

Le Tribunal conclut que Google Inc. a causé un préjudice à cet individu en ne donnant pas suite à sa demande d’opposition, les termes litigieux étant dotés d’une connotation négative.

Ainsi, le Tribunal de commerce de Paris a sommé Google Inc. de supprimer, dans un délai de trente jours, les termes objets du litige des suggestions réalisées par ses services Suggest et « Recherches associées ».

L’on relèvera que cette décision inédite a précédé l’arrêt rendu le 13 mai 2014 par la CJUE dans lequel les juges communautaires retiennent que les résultats générés par le moteur de recherche Google constituent un traitement de données personnelles au sens de la Directive et qu’en conséquence, les personnes concernées peuvent, dans certaines circonstances, exiger leur effacement, en particulier lorsque les données affichées apparaissent inadéquates ou obsolètes au regard du temps écoulé.

Marie DELOUCHE

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