Le Conseil d’Etat vient de rendre une solution attendue, hélas plutôt défavorable concernant le sort des retenues à la source prélevées sur les redevances étrangères lorsque la société française qui encaisse ces produits est en situation de déficit (CE Céline, 12/03/2014, n° 362528).
Par principe, au regard du droit interne, le bénéfice net est établi sous déduction de toutes les charges, et celles-ci comprennent notamment les impôts mis en recouvrement au titre de l’exercice (article 39-1.4° du code général des impôts-CGI).
Pourtant, aux termes des conventions fiscales bilatérales conclues par la France, quand elles ne sont pas écartées par les conventions, les retenues à la source prélevées par les Etats étrangers sur les redevances (en conformité avec les dispositions conventionnelles) forment un crédit d’impôt pour la société française, imputable sur l’impôt sur les sociétés (IS) dû à raison des redevances1. Dans cette situation, le produit imposable s’entend du montant brut du produit, sans déduction de la retenue à la source.
Les redevances au sens des conventions fiscales sont définies par les conventions elles-mêmes et couvrent classiquement les droits d’auteur, redevances de marque, et droits similaires mais également les rémunérations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique (know-how), voire parfois la location d’équipement industriel, commercial ou scientifique. La frontière des redevances susceptibles de retenue à la source ouvrant droit à un crédit d’impôt est souvent délicate, mais n’est pas l’objet de l’arrêt ici commenté.
Lorsque la société est en perte elle se trouve de facto privée d’un crédit d’impôt, faute d’IS à devoir payer, et surgit la question de savoir si la société est alors en droit de déduire de son résultat imposable la retenue à la source étrangère qui de facto devient une charge sur le plan financier et comptable.
Sur la base d’une décision maintenant ancienne du Conseil d’Etat (11 juillet 1991 n° 57391) rendue pour l’application de la convention fiscale franco-algérienne du 2 octobre 1968, il était généralement admis et en tout cas soutenu par l’administration qu’en l’absence d’imputabilité du crédit d’impôt conventionnel, l’impôt étranger ne peut pas alternativement être déduit en charges par la société française et contribuer à l’augmentation du déficit reportable.
C’est à cette position que s’était attaquée la société Céline pour l’application des conventions fiscales franco-italienne du 5 octobre 1989 et franco-japonaise du 3 mars 1995. La société défendait qu’en vertu du principe de subsidiarité des conventions fiscales, ces dernières ne pouvaient pas mettre obstacle à la déduction, fondée sur l’article 39-1-4°du CGI des retenues à la source non constitutives d’un crédit d’impôt.
Le tribunal administratif de Montreuil (3 février 2011 n° 0909296) avait accueilli favorablement la demande de la société. Mais la cour administrative de Versailles s’était ralliée à la thèse de l’administration en considérant qu’il y a lieu de se référer aux dispositions conventionnelles applicables, « lesquelles priment sur la loi interne », pour déterminer si elles peuvent ou non faire obstacle à cette déduction. En d’autres termes, la déduction des retenues à la source supportées à l’étranger est autorisée aussi longtemps qu’elle n’est pas exclue par une convention fiscale.
C’est cette approche que valide le Conseil d’Etat aujourd’hui en relevant les termes des conventions fiscales précitées (« L’impôt italien (resp. japonais) n’est pas déductible pour le calcul du revenu imposable en France. Mais le bénéficiaire a droit à un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français dans la base duquel ces revenus sont compris »), et en décidant que la lettre de ces conventions exclut la possibilité de déduire l’impôt étranger du résultat imposable en France, sans distinction des cas où la société est en déficit ou en bénéfice.
Il est intéressant de noter :
– que la cour administrative d’appel de Paris a adopté le même raisonnement pour refuser la déductibilité de retenues à la source pratiquées conformément à la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994 sur des redevances de marque versées à une société française (CAA paris 21/12/2012, n° 11PA02852)
– qu’inversement, mais en suivant le même raisonnement, la cour administrative d’appel de Versailles a tranché en faveur de la déduction du résultat imposable en France pour des retenues à la source prélevées en Grèce sur des redevances, les termes de la convention fiscale franco-grecque du 21 août 1963 ne s’opposant pas formellement à cette déduction.
Ainsi, il convient de vérifier au cas par cas les termes des conventions fiscales pour s’assurer de la possibilité de déduire fiscalement les retenues à la source prélevées sur des redevances reçues lorsque la société dégage des pertes qui la prive de se prévaloir d’un crédit d’impôt correspondant en France. Hélas, le cas le plus fréquent est celui des conventions fiscales reprenant la même terminologie que des conventions fiscales franco-américaine, franco-italienne ou franco-japonaise qui conduisent à exclure toute déductibilité des retenues à la source.
Sylvie CANONGE
Téléchargez cet article au format .pdf
Confirmation en appel du statut d’éditeur d’un site de vente aux enchères et de parking de noms de domaine