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TGI Paris, 3ème ch., 2ème sect, 16 mai 2014, n°12/06483

Le Tribunal de grande instance de Paris, par un jugement en date du 16 mai 2014, a eu l’occasion de se pencher sur la question de l’appréciation et de la réparation d’une contrefaçon par adaptation.

L’affaire porte sur l’ouvrage « Le Sorcier de l’Elysée – L’histoire secrète de Jacques Pilhan » de François Bazin, paru en 2009 aux éditions PLON, ouvrage relatif à cet homme qui aurait « révolutionné la communication politique en France », notamment dans le cadre des élections et des deux septennats de François Mitterrand.

Courant 2010, un producteur avait manifesté son souhait de travailler avec l’auteur du livre en vue de la production d’un documentaire consacré à ce même Jacques Pilhan. Dans ce cadre, un dossier avait été remis à FRANCE TELEVISIONS (diffuseur potentiel) présentant le plan de l’œuvre audiovisuelle envisagée.

Par la suite, FRANCE TELEVISIONS, n’ayant pas été intéressée par cette présentation, le projet avait été revu et un nouvel angle éditorial validé par la chaine : « les stratégies de communications politiques au service des élections de François Mitterrand à Jacques Chirac ». Le Producteur avait proposé à l’auteur d’intervenir en tant que consultant, ce qu’il avait refusé.

Un contrat de préachat a finalement été signé entre la société de production et FRANCE TELEVISIONS. Puis, le documentaire intitulé « Devenir président et le rester » était produit et diffusé par la chaine France 3.

Considérant que ce documentaire était une adaptation audiovisuelle contrefaisante de son livre, l’auteur a assigné en justice tant le diffuseur que le producteur. Deux moyens étaient soulevés par l’auteur : la contrefaçon de droits d’auteur par adaptation, d’une part, et le parasitisme, d’autre part.

En ce qui concerne l’action en contrefaçon, le Tribunal a tout d’abord rappelé la jurisprudence constante selon laquelle une contrefaçon s’apprécie au regard des ressemblances et non des différences.

En application de ce principe, plusieurs points de comparaison ont été examinés par les magistrats dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation souveraine.

Tout d’abord, la trame ou la structure de l’œuvre. Sur ce point, les juges ont estimé qu’une trame chronologique ne peut en soi être un élément protégeable au titre du droit d’auteur, et qu’elle ne peut révéler le moindre indice d’une reproduction illicite.

Le Tribunal a ensuite comparé les points traités dans chacune des œuvres, et plus particulièrement les anecdotes, les histoires, et autres précisions, éléments conférant à l’œuvre première son originalité.

Enfin, les juges se sont penchés sur « l’expression formelle et la terminologie » utilisées dans les deux œuvres. Bien que celles-ci aient comme source commune le témoignage d’une personnalité, le Tribunal a relevé que le tri des propos et des souvenirs, le choix de n’en retenir que certains, l’éclairage et la mise en perspective qui leur sont donnés, ou encore la manière dont ils sont rapportés, vient de l’historien et non du témoin.

L’accumulation de la reprise de mots, d’images, l’approche identique des évènements historiques, sont selon les magistrats représentatifs de « la volonté, consciente ou non, de ne quasiment jamais se démarquer du livre ». Cela concernait, par exemple, le choix commun d’évoquer des faits historiques qui ne sont pas les plus marquants des deux septennats de François Mitterrand.

Le Tribunal en a conclu que le projet initial d’adaptation du livre et l’œuvre audiovisuelle finalement produite et diffusée sont bien plus proches du livre que ne le que laissaient entendre les défendeurs.

Les juges ont logiquement précisé que ne saurait être incriminé au titre de la contrefaçon « un dossier qui n’a été qu’un document de travail, seul le document définitif, tel que diffusé, devant être pris en considération ». En effet, le projet pris isolément ne peut être qualifié de contrefaçon en ce qu’il n’a pas été communiqué au public, condition préalable essentielle.

En revanche, le Tribunal a décidé que le documentaire doit, lui, être considéré comme une adaptation non autorisée de l’œuvre première.

Le Tribunal apporte dans ce jugement deux précisions importantes concernant le régime applicable aux œuvres de collaboration.

Tout d’abord, au le plan procédural, le Tribunal rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle la recevabilité de l’action de l’auteur d’une œuvre première et dirigée exclusivement à l’encontre de l’exploitant d’une œuvre de collaboration arguée de contrefaçon n’est pas subordonnée à la mise en cause de l’ensemble de ses coauteurs.

Toutefois, sur les mesures réparatrices le Tribunal rejette la demande d’interdiction de diffusion du film avant que n’y soit insérée une mention au motif que « cette mesure ne peut être prononcée sans que tous les coauteurs du film aient été appelés en la cause et ainsi mis dans la possibilité de faire valoir leurs moyens de défense ».

En effet, une telle mesure venant modifier le contenu de l’œuvre, tous ses coauteurs doivent avoir la possibilité de se prononcer sur une telle demande avant qu’elle ne soit décidée par les magistrats.

Cette précision, attendue, permet de relativiser la portée du revirement de la Cour de Cassation sur la recevabilité de l’action.

Camille BURKHART

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