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TGI Paris, Ordonnances de référé, 24 novembre 2014 et 19 décembre 2014
Groupe de travail Article 29, Communiqué de Presse et Lignes Directrices sur la mise en œuvre de l’arrêt de la CJUE sur le droit au déréférencement, 26 novembre 2014

Le 26 novembre 2014, le groupe de travail des autorités européennes de protection des données personnelles (G29) a publié des lignes directrices relatives à la mise en œuvre des principes dégagés par l’arrêt de la CJUE du 13 mai 2014 [lien Netcom – Juillet 2014]. Ce document propose une interprétation commune de la décision de la CJUE consacrant, sous conditions, le droit des individus à exiger des moteurs de recherche le déréférencement des liens apparaissant dans leurs pages de résultats à la suite d’une recherche basée sur le nom des personnes. Il contient également une liste de 13 critères que toutes les autorités de protection des données devront appliquer au sein de l’UE afin d’apprécier la pertinence des demandes de déréférencement. En réalité, ce document a également vocation à éclairer la lanterne des moteurs de recherche, premiers destinataires des demandes de déréférencement via les formulaires en ligne mis à disposition des particuliers.

Cette communication du G29 est bienvenue lorsqu’on sait qu’à ce jour, Google a refusé en France 52% des demandes de suppression, autant de litiges potentiels qui sont alors susceptibles de donner lieu à des plaintes devant la CNIL ou les tribunaux.

Hasard du calendrier, les lignes directrices du G29 ont été publiées alors que le tribunal de grande instance de Paris venait de rendre, le 24 novembre 2014, une première ordonnance de référé (elle sera suivie d’une seconde ordonnance le 19 décembre) dans un litige opposant Google à une personne physique ayant en vain sollicité le déréférencement de liens renvoyant, en réponse aux requêtes de recherches basées sur son nom, à un article du Parisien de 2006 faisant état de sa condamnation pour des faits d’escroquerie.

L’intérêt de cette affaire est que pour la première fois depuis l’arrêt de la CJUE les tribunaux français sont amenés à appliquer les principes dégagés par la Cour dans une espèce où il n’était pas contesté que le contenu de l’article auquel le lien permettait d’accéder était licite. En effet, l’article du Parisien de 2006 relatait l’existence d’une condamnation pénale définitive, basée sur des faits exacts (et non amnistiés). La publication de cet article n’était donc pas en cause et c’est bien la mise en relation par le moteur d’une requête de recherche basée sur le nom de la demanderesse et du lien généré vers cet article, exact mais ancien, qui fondait la demande de déréférencement. Cette affaire diffère donc de celle jugée par le même tribunal en septembre 2014 où Google s’était vu enjoindre de déréférencer un lien renvoyant vers un article précédemment jugé diffamatoire [Lien vers Netcom – Octobre 2014].

La demande de la requérante était ici fondée sur les dispositions de la loi Informatique et Libertés (issues de la Directive 95/46/CE) dont l’article 6 impose que les données traitées soient adéquates, pertinentes, non excessives et dont l’article 38 autorise toute personne physique à s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données la concernant fassent l’objet d’un traitement.

La première question était néanmoins de savoir contre qui de Google France et/ou de Google Inc., la demande judiciaire de déréférencement pouvait être valablement dirigée. La requérante avait pris le parti de n’assigner que la société Google France qui contestait sans surprise la recevabilité de la demande au motif que l’exploitant du moteur de recherche était Google Inc., seule société responsable à ce titre du traitement de données personnelles au sens de la loi Informatique et Libertés. La société Google Inc. intervenue volontairement à l’instance soutenait la position de sa filiale.

Le Juge des référés approuve la position de Google en retenant que seul Google Inc., qui contrairement à sa filiale est l’exploitant du moteur de recherche, peut être qualifié de responsable de traitement. La juridiction saisie estime donc que toute injonction judiciaire de déréférencement ne peut être prononcée qu’à l’égard de Google Inc. La position du juge des référés semble ici s’écarter de celle adoptée par le G29 dans son document du 24 novembre et dont les termes quelque peu ambigus indiquent au contraire que « l’application effective de l’arrêt (de la CJUE, ndlr) et de la législation des données personnelles exige que les personnes puissent exercer leurs droits auprès des filiales locales des moteurs de recherche établies dans les états membres.. ». Ce faisant, le G29 ne précise pas si la position qu’il exprime ne concerne que la demande initiale de déréférencement directement faite auprès du moteur ou également la demande judiciaire ultérieure (en cas de refus) et l’éventuelle action en responsabilité qui pourrait l’accompagner. La position du juge des référés sur l’impossibilité d’une injonction judiciaire à l’encontre de Google France est en tout cas nettement affirmée dans l’ordonnance du 24 novembre 2014.

Le Juge prend soin de rappeler néanmoins, dans le droit fil de l’arrêt de la CJUE de mai 2014, que si le responsable du traitement est incontestablement Google Inc., la présence sur le territoire français de sa filiale Google France et le fait que l’activité de cette filiale soit « indissociablement liée à celle de l’exploitant du moteur de recherche » implique en tout état de cause que « les traitements de données à caractère personnel réalisés par la société Google Inc. sont soumis à la loi française ».

Sur le fond, le Juge rappelle que la loi informatique et libertés traduit en termes concrets le principe affirmé par les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne selon lequel « toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant ». A cet égard, il appartient d’appliquer à l’espèce les articles 6, 38 et 40 de la loi Informatique et Libertés dont il résulte que le droit d’opposition au traitement de données peut être exercée pour des motifs légitimes en particulier lorsque, au moment où le juge est saisi de la demande, les données traitées apparaissent inadéquates, non pertinentes ou excessives.

En l’espèce, le juge aurait pu considérer que compte tenu de l’ancienneté de la condamnation pénale qui remontait à 2006, il était suffisamment établi que le lien maintenu par Google vers l’article du Parisien (en réponse aux requêtes de recherches visant le nom de la demanderesse) ne répondait plus aux critères de la loi. Or, le juge souligne ici que dans le cadre d’une procédure de référé, il appartient à la demanderesse de démontrer également l’existence d’un « trouble manifestement illicite ». Lors de la première audience, le juge a semble-t-il considéré que la preuve de l’évidence du trouble était insuffisamment rapportée puisqu’il a, par une première ordonnance du 24 novembre, renvoyé l’affaire à une date ultérieure afin de permettre à la demanderesse de préciser si l’information relative à sa condamnation figurait toujours, ou non, sur le bulletin n°3 de son casier judiciaire.

La requérante ayant pu établir que la condamnation n’était plus mentionnée sur le B3 de son casier judiciaire, le juge des référés décide finalement par une ordonnance ultérieure du 19 décembre 2014 que sa demande de déréférencement du lien de Google vers l’article du Parisien était justifiée par « des raisons prépondérantes et légitimes prévalant sur le droit à l’information ». Google Inc. se voit donc enjoindre de procéder au déréférencement (sans astreinte).
Compte tenu de la motivation de la décision, l’on peut néanmoins présumer que le juge aurait pu prendre une position contraire si l’information sur l’existence de la condamnation s’était trouvée maintenue sur le B3 du casier judiciaire de la requérante.

Cette décision, qui constitue une première en ce qu’elle porte sur le déréférencement d’un lien renvoyant vers un contenu n’apparaissant pas illicite en soi, démontre que le juge des référés a effectué une analyse minutieuse et mesurée des circonstances soumises. Elle illustre également que le déréférencement judiciaire, fondée sur la loi Informatique et Libertés, ne constitue pas une mesure aussi évidente à obtenir qu’on aurait pu le penser après l’arrêt de la CJUE.

Les prochaines espèces pourraient permettre de déterminer également si les juridictions judiciaires et les autorités de protection des données adopteront des grilles de lecture similaires lorsqu’elles seront confrontées à de prochains litiges portant sur des demandes de déréférencement refusées par les moteurs de recherche. Au vu de cette première ordonnance, il n’est pas exclu que le juge se montre plus exigeant que les autorités de protection des données personnelles dans l’appréciation des demandes.

Héléna DELABARRE

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