L’interprétation de l’article 5.3 du Règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale a une nouvelle fois retenu l’attention de la CJUE, qui continue son œuvre jurisprudentielle sur ce point dans un arrêt du 22 janvier 2015.
En l’espèce, Pez Hejduk est une photographe professionnelle domiciliée en Autriche, dont une partie des œuvres présentent les travaux d’un architecte. La société EnergieAgentur, dont le siège social est en Allemagne, avait sollicité l’autorisation de Madame Hejduk afin d’utiliser ses photographies dans le cadre d’un colloque consacré à l’architecte. Par la suite, cette même société procéda à la mise en ligne des photographies sur son site web, sans l’autorisation de la photographe.
En conséquence, Madame Hejduk intenta une action judiciaire à l’encontre d’EnergieAgentur devant les tribunaux viennois, afin d’obtenir des dommages-intérêts. La société allemande souleva immédiatement l’incompétence territoriale de la juridiction saisie, considérant que le simple fait de pouvoir accéder aux photographies depuis l’Autriche ne donnait pas compétence aux juridictions de ce pays au sens des dispositions du Règlement 44/2001. Le juge autrichien posa donc une question préjudicielle à la CJUE, tout en notant que, sous l’angle du droit autrichien, le litige touchait aux droits voisins de Madame Hejduk.
La Cour de Justice devait donc répondre à la question suivante : l’article 5.3 du Règlement 44/2001 doit-il être interprété en ce sens qu’en cas d’atteinte alléguée aux droits voisins du droit d’auteur garantis par l’Etat membre de la juridiction saisie, celle-ci est compétente pour connaître d’une action en responsabilité pour l’atteinte à ces droits du fait de la mise en ligne de photographies protégées sur un site Internet accessible dans son ressort ?
Pour rappel, l’article 2 du Règlement 44/2001 donne compétence aux juridictions de l’Etat membre où est situé le défendeur (en l’espèce, il s’agissait de l’Allemagne). Cependant, son article 5.3 offre une option de compétence au demandeur en matière délictuelle ou quasi-délictuelle : il peut également saisir les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
Afin de répondre à la question préjudicielle, la Cour commence par rappeler une partie de sa jurisprudence portant sur l’article 5.3 du Règlement : le lieu du fait dommageable peut être le lieu de matérialisation du dommage ou le lieu de l’évènement causal qui est à l’origine de ce dommage (CJCE, 30 novembre 1976, Mines de Potasses d’Alsace). En l’espèce, le lieu de l’évènement causal n’était pas pertinent, car identique au lieu où est situé le défendeur.
Dès lors, la matérialisation du dommage pouvait-elle se situer en Autriche du simple fait que le site Internet sur lequel les photographies avaient été publiées y est accessible ? EnergieAgentur opposait à cette théorie, dite de « l’accessibilité », la théorie du « public visé » en arguant du fait que son site Internet, disposant d’un nom de domaine de premier niveau en « .de », ne visait que le public allemand.
La Cour, notant que rien dans l’article 5.3 n’exigeait que le site en cause soit dirigé vers l’Etat membre de la juridiction saisie, tranche clairement en faveur de la théorie de l’accessibilité. Dès lors, au sens de l’article 5.3 du Règlement 44/2001, les juridictions d’un Etat membre, au sein duquel un site Internet violant les droits voisins du droit d’auteur est simplement accessible, sont compétentes pour traiter du litige en découlant, au titre du lieu de la matérialisation du dommage. La Cour précise cependant que ces juridictions ne sont compétentes que pour traiter du seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre dont elles relèvent, alors que les juridictions du lieu où est situé le défendeur sont compétentes pour traiter de l’intégralité du dommage causé, sans limitation territoriale.
Cette décision n’est pas la première consacrant la théorie de l’accessibilité dans le cadre de la compétence territoriale en matière de délits commis sur Internet. La CJUE avait eu l’occasion d’appliquer cette solution pour des droits d’auteur, dans son arrêt Pinckney (CJUE, 3 octobre 2013). En droit des marques, il est également possible de saisir les juridictions d’un Etat membre où est accessible un site Internet contrefaisant – à la condition que la marque contrefaite soit enregistrée dans cet Etat-membre (CJUE, 19 avril 2012, Wintersteiger). Pour les droits de la personnalité, la Cour a également retenu la théorie de l’accessibilité, en ajoutant que le demandeur pouvait également saisir, au titre du lieu de la matérialisation du dommage, les juridictions de l’Etat membre où se situe le centre de ses intérêts, et ce pour l’intégralité du dommage (CJUE, 24 octobre 2011, Martinez).
Depuis le 10 janvier 2015, le Règlement 44/2001 a été remplacé par le Règlement 1215/2012. Cependant la jurisprudence de la Cour ne devrait pas s’en trouver modifiée car les dispositions concernant la compétence en matière délictuelle ou quasi-délictuelle restent inchangées.
Sylvain NAILLAT
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