Deux mois et quatorze chambres séparent les deux jugements présentés ici. Il est pourtant intéressant de les rapprocher, tous deux ayant pour sujet une campagne publicitaire pensée autour d’un jeu de mot.
Le projet n’a finalement pas été retenu. Cependant, l’agence a constaté cinq années plus tard que la nouvelle campagne publicitaire de la compagnie d’assurances, créée par une nouvelle agence, mettait en scène deux personnages roux dans diverses aventures loufoques. L’agence a estimé qu’il s’agissait là d’une adaptation illicite du projet qu’elle avait présenté. L’assureur et sa nouvelle agence rétorquaient que seule l’idée d’exploiter le jeu de mot créé par l’association deux roues/deux roux avait été reprise au sein de la campagne publicitaire. Hors, les idées n’étant pas protégeables, aucune contrefaçon ne pouvait être retenue.
Le tribunal relève que le projet de campagne et la campagne effectivement diffusée se ressemblent tout d’abord en raison de l’utilisation de deux personnages roux récurrents devenant un élément d’identification de l’annonceur, et en raison de l’exploitation du jeu de mots deux roues/deux roux. De plus, le tribunal estime que la forme visuelle générale et la mise en scène choisie dans les spots diffusés seraient similaires au projet porté à l’origine par l’agence. En conséquence, le tribunal considère qu’il s’agit d’une véritable contrefaçon et non de la simple reprise d’une idée, et condamne donc l’annonceur et l’agence.
A propos de la reprise du jeu de mot, l’on notera que le tribu nal estime que « le jeu de mots deux roues/deux roux […] constitue déjà la mise en forme particulière de l’idée d’utiliser un jeu de mot » ; l’on peut penser qu’en suivant cette logique, toutes les idées seraient protégeables, car il sera toujours possible de leur trouver un concept parent dont elles ne seraient qu’une déclinaison particulière.
Le second jugement, daté du 17 juin 2015, a été rendu à propos d’une campagne publicitaire exploitant des jeux de mots créés par la ressemblance entre des mots du langage commun et des patronymes célèbres.
Il s’agissait de spots radiophoniques interprétés par les humoristes Chevalier et Laspales, pour des assurances scolaires intégrant la protection contre le racket à l’école. Sur un fond sonore de bruits d’échanges de balles de tennis, les deux humoristes interprétaient le texte suivant : « – Tu sais qu’il y a de plus en plus de racket à l’école, c’est mon fils qui me l’a dit. – Ah, si c’est son gars qui lui a dit … ».
Les tennismen Gaël Monfils et Jo-Wilfried Tsonga ont considéré que du fait de l’association du fond sonore, l’homonymie entre « racket » et « raquette », et les jeux de mots entretenus entre « mon fils » et « Monfils » ainsi qu’entre « son gars » et « Tsonga », l’assureur avait utilisé indument et sans compensation leur patronyme, ceci ayant pour conséquence d’en déprécier la valeur financière.
Le tribunal a rappelé que seule une utilisation fautive et préjudiciable des patronymes pouvait mener à l’engagement de la responsabilité civile de l’utilisateur, les tennismen fondant au demeurant leur action sur l’article 1382 du Code civil. Le tribunal a en l’espèce considéré que le caractère humoristique du spot écartait tout risque de confusion des consommateurs – et donc toute faute – le public ne pouvant croire à une participation volontaire des demandeurs et à un accord pour l’association de leur nom et de leur notoriété à cette publicité. En conséquence, le tribunal a retenu que le préjudice lié à la perte de valeur de leur patronyme n’était pas démontré par les tennismen. Leurs demandes ont donc été rejetées.
Dans les deux affaires donc, le choix d’exploiter des jeux de mots au sein de campagnes publicitaires a, tant sur le plan du droit d’auteur que sur le plan des droits de la personnalité, été bénéfique à l’agence de publicité qui les avait élaborés.
Sylvain NAILLAT