La décision rendue par le TGI de Paris apporte un nouvel éclairage sur l’appréciation du périmètre de responsabilité des hébergeurs.
Au premier chef de ses griefs, le fabricant a fait valoir que le site n’avait pas respecté ses propres engagements contractuels. En effet, selon les mentions figurant sur son site, il s’engageait à relire les annonces avant mise en ligne afin de s’assurer de leur qualité et du respect des règles de diffusion. Il est également stipulé que seule la diffusion d’annonce proposant la vente de produits originaux est autorisée, les dispositions et sanctions prévues par le code de la propriété intellectuelle en cas de contrefaçon étant rappelées. Enfin, les conditions générales d’utilisation prévoient expressément que « l’annonceur est informé que pour des raisons d’ordre technique et de modération, son annonce ne sera pas diffusée instantanément après son dépôt sur le site Internet », le site se réservant la faculté « de supprimer à tout moment, une annonce qui serait contraire à la loi française et/ou aux règles de diffusion d’annonce du site ».
Or, suite à deux signalements reçus du fabricant, les équipes du site avaient répondu « qu’il était possible que cette annonce soit abusive mais « [qu’ils n’avaient pas] suffisamment d’éléments pour la supprimer ».
Ces constatations conduisent le tribunal a retenir que le site a « commis une pratique commerciale trompeuse de nature à induire le consommateur en erreur sur la portée de son engagement ». Compte tenu des engagements dénués d’ambigüité figurant sur le site, le consommateur pouvait légitiment s’attendre à ce que l’ensemble des produits de marque vendus sur le site soient authentiques.
En revanche, le tribunal n’a pas retenu la responsabilité directe du site pour contrefaçon de marque. Le demandeur faisait valoir que la société exploitant le site exerçait une activité d’éditeur de contenus dans la mesure où elle jouait un rôle actif. Elle proposait notamment des services additionnels payants permettant d’optimiser la présentation des offres et de promouvoir les ventes.
En s’appuyant sur la distinction opérée par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne entre éditeur et hébergeur, les juges ont estimé que « les options offertes aux annonceurs ne caractérisaient pas une assistance à la rédaction, mais la simple possibilité payante offerte à l’annonceur d’étoffer son annonce ou d’exiger un positionnement, n’induisant pas un rôle éditorial de la part de la société, le contenu des annonces restant le seul fait de l’annonceur, la société qui n’est en outre pas partie à l’éventuel contrat conclu par les utilisateurs, ne reçoit aucune commission sur les transactions, et ne détermine ni le prix ni les modalités de remise du bien vendu, exerçant un rôle neutre d’intermédiaire ».
Il précise également que la mise en place dispositif automatique de filtrage tendant à partir de mots clés à la préservation des droits des tiers, n’induit en rien un rôle éditorial et n’est pas exclusif de la qualification d’hébergeur.
Enfin, en dépit des signalements effectués en vain par le fabricant, le tribunal n’a pas retenu la responsabilité du site en tant qu’hébergeur pour manquement à son obligation de prompt retrait. Il a en effet considéré que les notifications reçues n’avaient pas respecté le strict formalisme requis par la loi dès lors que les informations relatives à l’identification du requérant (dénomination, forme, siège social) ou au motif du retrait n’étaient pas explicites. De plus la preuve du maintien en ligne des annonces litigieuses après notification n’avait pas été suffisamment rapportée.
Sur ces motifs, le site n’a finalement été condamné qu’à la publication d’un extrait du jugement pendant 15 jours ainsi que dans trois périodiques.
Bien que le raisonnement suivi apparaisse conforme à la jurisprudence établie sur la définition du rôle des hébergeurs, la motivation retenue apparaît toutefois contradictoire. En sanctionnant le caractère trompeur de la pratique commerciale mentionnée dans ses engagements, les juges ont reconnu que le site avait vocation à opérer une modération a priori des annonces puisqu’il s’engageait à valider leur contenu avant mise en ligne. Il était donc supposé avoir une connaissance préalable de leur caractère manifestement illicite et ne pouvait à ce titre se réfugier derrière son statut d’hébergeur pour être absous.
Cependant, sans remettre en cause la neutralité des intermédiaires techniques, les tribunaux tendent à élargir l’éventail des actions pouvant tempérer le régime de la responsabilité limitée des plateformes instaurée par la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique, en choisissant de les sanctionner sur le terrain du droit de la consommation pour non-respect de leurs engagements vis-à-vis de leurs utilisateurs.
Sabine DELOGES