Le Conseil d’Etat a récemment rendu un arrêt attendu dans lequel il transpose aux noms de domaine sur internet la jurisprudence Sife relative aux concessions de licence de marque. Confirmant l’analyse des juridictions du fond , il juge que le droit exclusif d’utilisation d’un nom de domaine tiré d’un enregistrement auprès de l’AFNIC, constitue une immobilisation incorporelle.
Le Conseil d’Etat, reprenant les trois critères de la décision Sife, confirme que le nom de domaine est un actif incorporel dans la mesure où il constitue une source régulière de profits (1), doté d’une pérennité suffisante (2), et susceptible de faire l’objet d’une cession (3).
Sur la première condition, celle d’être une source régulière de profits, le Conseil d’Etat retient que l’enregistrement du nom de domaine à l’AFNIC confère à son titulaire un droit exclusif d’utilisation. Dès lors, le nom de domaine constitue pour la société une source régulière de profits.
Ensuite, le Conseil d’Etat a dû statuer sur le caractère pérenne ou non de l’exploitation du nom de domaine. La pérennité s’apprécie de façon pragmatique en fonction du contexte juridique. En l’espèce, relevant que le droit exclusif d’utilisation du nom de domaine accordé pour un an est renouvelable sur simple demande moyennant le paiement des frais de formalité auprès de l’AFNIC, l’exclusivité des droits pouvant être garantie pour une période allant ainsi de 1 à 10 ans, la condition de pérennité est jugée remplie.
Enfin, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur la cessibilité du droit incorporel et la portée de cette condition sur la qualification d’immobilisation du nom de domaine. Le Conseil d’Etat choisit de ne pas écarter la cessibilité comme condition à l’immobilisation, comme il a pu le faire pour d’autres types de droits incorporels. A l’époque des faits, les règles de l’AFNIC ne permettaient pas la cession directe du nom de domaine ; le transfert était effectué en pratique par abandon de l’enregistrement (par le titulaire d’origine) suivi de l’enregistrement du même nom par le nouveau titulaire. Néanmoins, le Conseil d’Etat juge qu’un protocole d’accord, qui prévoyait l’acquisition par le groupe eBay des parts de la société iBazar, avec pour contrepartie l’abandon par iBazar de l’enregistrement du nom de domaine ebay.fr, avait exercé des effets équivalents à ceux d’une cession par iBazar du droit d’utilisation de son nom de domaine.
Cette analyse conduit à considérer comme remplie la condition de cessibilité pour qualifier le nom de domaine comme un élément d’actif incorporel pour eBay France.
Ce principe étant posé, le Conseil d’Etat constate ensuite que le coût de la transaction avec iBazar avait été supporté par le groupe eBay mais non par la société eBay France elle-même, le nom de domaine devant dès lors être considéré comme acquis à titre gratuit par cette dernière et donc inscrit au bilan d’eBay France pour sa valeur vénale, au visa de l’article 38 quinquies de l’annexe III au CGI. Cette valeur a été déterminée par l’administration et validée par le Conseil d’Etat à partir du prix des parts de la société iBazar historiquement titulaire du nom de domaine litigieux et d’une transaction prise à titre de comparaison au terme de laquelle la société Vivendi avait versé une indemnité « pour que le titulaire de la marque vis@vis renonce à ses droits d’antériorité ».
Pour finir, le Conseil d’Etat retient l’existence d’un acte anormal de gestion et le transfert de bénéfice de eBay France à sa société mère suisse du fait de sa renonciation à demander une redevance au titre de la mise à disposition du droit d’exploiter le nom de domaine pour les besoins du site internet de cette dernière.
Cette décision complète utilement les commentaires limités que formule l’administration fiscale sur les frais d’immatriculation des noms de domaine engagés dans le cadre de la création d’un site internet, et dont il ressort que « les coûts relatifs à l’obtention et l’immatriculation d’un nom de domaine ne sont inscrits à l’actif que lorsque l’entreprise a choisi d’inscrire à l’actif en tant qu’immobilisation incorporelle l’ensemble des coûts éligibles engagés au titre de la phase de développement et de production du site web » (BOI-BIC-CHG-20-30-30 n° 210, 12 septembre 2012). Aucune règle comptable ou fiscale ne régit en revanche spécifiquement les acquisitions de noms de domaine effectuées dans un contexte autre que celui de la création d’un site internet.
Dans ce contexte, la décision du Conseil d’Etat met en lumière la nécessité notamment au sein des groupes de porter une attention particulière à la gestion des noms de domaine, susceptibles de donner lieu à des licences d’exploitation au même titre qu’une marque commerciale.
Sylvie CANONGE