CJUE, C-291/16, Schweppes SA c/ Red Paralela SL et Red Paralela BCN SL, 20 Décembre 2017
Le titulaire d’une marque nationale ne peut pas s’opposer à l’importation de produits identiques revêtus de la même marque provenant d’un autre Etat membre où cette marque est détenue par un tiers qui en a acquis les droits par cession, si, après la cession, il a lui-même favorisé « l’apparence ou l’image d’une marque unique et globale (…) ».
Depuis 1999, la marque Schweppes appartient à deux entreprises différentes au sein de l’Union européenne :
– dans certains pays, dont l’Espagne, la marque appartient à la société Cadburry ;
– dans d’autres, dont le Royaume-Uni, la marque appartient à la société Coca-Cola.
En 2014, Schweppes S.A. (société filiale de Cadburry) a intenté une action en contrefaçon en Espagne, contre une société importatrice sur ce territoire de produits « Schweppes » provenant du Royaume-Uni. Schweppes soutenait que cette commercialisation en Espagne était illicite, puisque ces produits n’avaient pas été fabriqués par elle mais par une société tierce, Coca-Cola, avec laquelle elle n’aurait aucun lien économique ou juridique. Schweppes invoquait donc le risque de confusion pour le consommateur, mis dans l’impossibilité de distinguer l’origine commerciale des produits.
De son côté, l’importateur invoquait l’épuisement du droit des marques, qui résulterait d’un consentement tacite en ce qui concerne les produits pourvus de la marque « Schweppes » en provenance d’Etats membres où Coca-Cola est titulaire de cette marque. En outre, l’importateur soutenait qu’il existait des liens juridiques et économiques entre Schweppes et Coca-Cola dans l’exploitation commune du signe « Schweppes ».
Le Tribunal de commerce espagnol a interrogé la Cour de justice, afin de déterminer si le droit de l’Union s’oppose à ce que Schweppes invoque le droit exclusif dont elle jouit en vertu du droit espagnol pour s’opposer à la commercialisation de produits « Schweppes » en provenance du Royaume-Uni, dans lequel Coca-Cola est titulaire de la marque « Schweppes.
La Cour de justice répond qu’en vertu du droit de l’Union et du principe de l’épuisement des droits, le titulaire d’une marque nationale ne peut pas s’opposer à l’importation de produits identiques revêtus de la même marque provenant d’un autre Etat membre où cette marque est détenue par un tiers qui en a acquis les droits par cession, « lorsque, après la cession (…), le titulaire, seul ou en coordonnant sa stratégie de marque avec ce tiers, a continué de favoriser de manière active et délibérée l’apparence ou l’image d’une marque unique et globale (…) ».
La Cour rappelle que la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit marqué, et de lui permettre de distinguer sans confusion possible ce produit de ceux qui ont une autre provenance. Or, selon la Cour, le développement d’une stratégie de marque globale a pour effet que « la marque du titulaire ne remplit plus sa fonction essentielle de façon indépendante dans le cadre territorial qui lui est propre ». La Cour estime qu’en adoptant un tel comportement, le titulaire porte lui-même atteinte à cette fonction, et ne saurait ultérieurement « se prévaloir de la nécessité de sauvegarder ladite fonction pour s’opposer à l’importation de produits identiques revêtues de la même marque provenant d’un autre Etat membre où cette marque est désormais détenue par ledit tiers ».
La Cour précise que même dans l’hypothèse où le titulaire n’a pas favorisé l’image d’une marque globale et unique, il ne peut non plus s’opposer à l’importation de tels produits lorsqu’il existe entre lui-même et le titulaire de la marque dans l’Etat d’exportation un lien économique, ce qui sera le cas lorsque :
– « les produits en question ont été mis en circulation par un licencié ou par une société mère ou par une filiale du même groupe ou encore par un concessionnaire exclusif » ;
– les deux titulaires « coordonnent leur politiques commerciales ou s’accordent afin de contrôler conjointement l’utilisation desdites marques, de telle sorte qu’ils ont la possibilité de déterminer directement ou indirectement les produits sur lesquels la marque est apposée et d’en contrôler la qualité ».
Antoine JACQUEMART