Par cinq arrêts rendus le 14 janvier 2011 et le 4 février 2011[Netcom Mars 2011], la Cour d’appel de Paris avait fait droit aux actions en contrefaçon de producteurs d’œuvres audiovisuelles (le film Mondovino, le documentaire Le génocide arménien, le documentaire L’affaire Clearstream et le documentaire Les dissimulateurs) et d’un photographe à l’encontre de Google France et Google Inc.
Outre la confirmation du rôle d’hébergeur de Google sur les contenus stockés, la Cour avait examiné le respect par Google de son obligation de prompt retrait en considérant que Google était tenu, non seulement de retirer la vidéo notifiée, mais également de mettre en œuvre tous les moyens techniques en vue de rendre l’accès impossible à toute nouvelle vidéo contenant la même œuvre.
La Cour d’appel avait retenu que « dès lors que le contenu de la vidéo et les droits de propriété intellectuelle y afférents sont identiques », chaque remise en ligne, même imputable à des utilisateurs différents, ne constitue pas un fait nouveau nécessitant une notification distincte.
Notre commentaire s’interrogeait sur le fait que cette motivation déjà adoptée dans un arrêt rendu par la même juridiction le 9 avril 2010 [Netcom Avril 2010], pouvait être considérée comme allant au-delà du dispositif de la loi du 21 juin 2004. Elle conduisait ainsi à ne pas exiger de notification lorsque d’autres utilisateurs mettent la même œuvre en ligne, ce qui pouvait revenir à imposer aux hébergeurs une obligation générale de surveillance, pourtant écartée par l’article 6.I.7 alinéa 1 de la LCEN.
Google avait donc annoncé un pourvoi à l’encontre des arrêts. Seul le moyen constitué sur ce dernier argument va aboutir, les arrêts étant ainsi cassés et annulés dans cette limite et les parties renvoyées sur ce point devant la Cour d’appel de Lyon.
La Cour de cassation énonce que selon les motifs de la Cour d’appel, Google aurait l’obligation d’empêcher toute mise en ligne des vidéos par ailleurs qualifiées de contrefaisantes, sans même en avoir été avisé par une autre notification régulière.
Or, la Cour rappelle que l’obligation de prompt retrait a pour fait générateur une notification permettant à l’hébergeur d’avoir connaissance du caractère illicite du contenu et de sa localisation. En l’absence d’une telle notification, point d’obligation de retrait. En décidant que cette obligation pourrait être déclenchée sans nouvelle notification, mais sur le seul fondement de la notification d’origine, la Cour de cassation considère qu’une telle contrainte se situe au-delà de la faculté d’ordonner une mesure propre à prévenir ou faire cesser le dommage lié au contenu actuel du site.
Elle instaure une obligation générale de surveillance et prescrit la mise en place d’un dispositif de blocage sans limitation dans le temps. Autant de mesures disproportionnées par rapport au but poursuivi.
Le régime de l’hébergeur s’affine. Cet arrêt limite la portée de l’obligation de prompt retrait en interprétant strictement les dispositions combinées des articles 6.I.2, I.5 et I.7. Ces décisions sont toutefois à mettre en regard avec l’arrêt rendu le même jour concernant le moteur de recherches Google et l’obligation de prévenir ou faire cesser les atteintes au droit d’auteur et des producteurs notamment en évitant d’user ou en limitant les fonctionnalités de suggestions de mots clés susceptibles de faciliter les atteintes aux droits précités.
L’on peut enfin mettre en corrélation ces décisions avec l’arrêt de la CJUE du 12 juillet 2011 admettant que des injonctions judiciaires peuvent être prises à l’encontre de l’exploitant lorsqu’il ne décide pas, de sa propre initiative, de faire cesser les atteintes aux droits de la propriété intellectuelle et d’éviter que ces atteintes ne se reproduisent. Ainsi, il serait possible d’enjoindre à l’exploitant de prendre des mesures qui contribuent, non seulement à mettre fin aux atteintes portées à ces droits par les utilisateurs ce que reconnaît l’arrêt rendu le même jour que ceux ici commentés, mais aussi à prévenir de nouvelles atteintes de cette nature, ces injonctions devant être effectives, proportionnées, dissuasives et ne pas créer d’obstacles au commerce légitime (ce que remettrait en tout ou en partie en cause la Cour de cassation dans les arrêts ici commentés).
Armelle FOURLON