Cette décision intervient après un arrêt de la Cour de Cassation (Cass. Com 24 mai 2011, N° 10-24869) portant cassation et renvoi d’un arrêt de la même Cour d’Appel de Versailles daté du 27 juillet 2010.
Elle pose la question de la survivance d’anciens accords sur la répartition capitalistique d’actions d’une société alors que les signataires de l’accord initial ont fait l’objet de restructurations intragroupes. En d’autres termes, est-ce qu’une société à qui a échu une participation dans une société après une restructuration interne est en droit de demander l’exécution forcée de l’accord de répartition qu’a signé il y a de longues années un lointain prédécesseur en droit?
L’affaire en question opposait, par filiale interposée, les groupes Suez et VEOLIA (anciennement Générale des Eaux), sur le non-respect allégué d’un accord de parité affectant la détention des titres d’une société Esterra (spécialisée dans le traitement des résidus urbains). L’accord en question, passé en 1994 et révisé en 1999, contenait l’engagement des deux actionnaires majoritaires d’Esterra (chacun des filiales des deux groupes précités) de rester à parité au capital de cette société par l’engagement de rachat à nombre égal des actions d’un minoritaire.
Depuis lors, du fait de restructurations internes de part et d’autres, les actions détenues dans Esterra avaient été transférées successivement à d’autres filiales des deux groupes et notamment à VEOLIA Propreté. VEOLIA Propreté se trouvait de plus, par des acquisitions successives auprès de minoritaires d’Esterra, posséder un plus grand nombre d’actions de cette dernière que SITA France (actionnaire du côté Suez). SITA France et Suez ont donc cherché à obtenir l’exécution en justice des accords de parité contre VEOLIA Propreté en demandant la cession forcée à SITA France de la moitié des actions acquises par VEOLIA Propreté en excès de la parité.
Dans sa première décision du 27 juillet 2010, la Cour d’Appel de Versailles avait confirmé le jugement de première instance ayant donné raison à SITA France. Celui-ci lui permettait de bénéficier de l’accord de parité puisqu’il ordonnait, notamment, la cession forcée par VEOLIA Propreté de la moitié des titres acquis de minoritaires (qu’il s’agisse de titres acquis du minoritaire visé dans l’accord de parité litigieux ou même de tout titre Esterra acquis par VEOLIA Propreté auprès d’autres minoritaires).
La Cour de Cassation a cependant cassé la décision susvisée au motif notamment qu’elle avait pour conséquence d’accroître la participation de SITA France au-delà du rétablissement de la situation antérieure (qui aurait dû résulter uniquement dans la cession forcée de 50% des titres du seul minoritaire visés par l’accord de parité). La Cour de Cassation a donc renvoyé les parties devant la Cour d’Appel de Versailles autrement composée.
Cette dernière, dans la décision susvisée, considère, pour ce qui est de VEOLIA Propreté, que l’accord de parité en vertu de l’Article 1165 du Code Civil ne lie que les parties qui l’ont signé (sauf, dit la Cour d’Appel en cas de stipulation pour autrui ou de « stipulation particulières prévues pour en assurer l’efficacité au-delà des signataires, notamment en cas de cession »). La Cour d’Appel est particulièrement claire lorsqu’elle énonce plus loin que « le cessionnaire de parts sociales ne succède pas de plein droit aux obligations personnelles résultant pour son auteur de conventions extra-statutaires ».
La Cour d’Appel, par un raisonnement similaire pour ce qui est cette fois de Suez qui invoque le bénéfice des mêmes droits au titre des accords de parité que sa filiale SITA France, refuse à celle-ci de se prévaloir de la « dimension groupale » (le terme émane de SITA France) de l’accord de parité, concept que la Cour d’Appel juge sans valeur juridique. La Cour d’Appel relève encore le principe de l’effet relatif des contrats et note au surplus que lors de la fusion de SITA (signataire de l’accord de parité initial) et de Suez, la reprise des droits et obligations résultant de cet engagement de parité par Suez n’avait pas été stipulée dans les documents de fusion.
La Cour d’Appel relève enfin que la pérennité des termes de l’accord de parité aurait pu être renforcée par des restrictions statutaires à la cession des actions d’Esterra. En l’absence de telles restrictions et surtout du fait des diverses transmission des titres Esterra au sein des groupes VEOLIA et Suez, l’égalité capitalistique au sein d’Esterra entre les deux actionnaires n’avait pas vocation à perdurer indéfiniment. La Cour d’Appel rejette donc les demandes de SITA France/ Suez tendant à l’application de l’accord de parité.
La Cour d’Appel ne fait pas d’avantage droit à diverses autres demandes formulées par Suez/ SITA France et portant, notamment, sur la dissolution d’Esterra sur la base de la paralysie alléguée du fonctionnement de celle-ci.
La décision susvisée incitera à la vigilance dans la manière de régler la transmission des accords entre actionnaires ou associés, même si cette problématique est souvent théorique car future lorsque ces accords sont signés. La prudence imposera de prévoir que tout ayant-droit d’un des signataires initiaux, à quelque titre que ce soit, régularise systématiquement un acte d’adhésion manifestant clairement qu’il devient partie au dit accord. L’acte d’adhésion en question devra impérativement être notifié à toutes les autres parties qui devront elles aussi en accuser réception.
Matthieu Bringer