CJUE, gr. Ch., 13 nov. 2018, aff. C-310/17
En l’espèce, la CJUE était interrogée sur la possibilité d’assurer la protection par le droit d’auteur de la saveur d’un fromage à tartiner, à la crème fraîche et aux fines herbes, le « Heksenkaas ». Le litige est né alors qu’une société produisait pour une chaine de supermarchés un fromage au goût vraisemblablement identique à celui-ci. Invoquant une atteinte à ses « droits d’auteur sur la saveur », la société productrice du Heksenkaas a assigné la société concurrente devant les juridictions néerlandaises.
Pour le producteur, la saveur de son fromage « constitue une création intellectuelle » et doit donc bénéficier à ce titre, de la protection par le droit d’auteur. Le droit d’auteur sur une saveur renverrait selon lui à « l’impression d’ensemble provoquée par la consommation d’un produit alimentaire sur les organes sensoriels du goût, en ce compris la sensation en bouche perçue par le sens du toucher ».
La juridiction néerlandaise, par une question préjudicielle, demande alors à la Cour de justice si la saveur d’un produit alimentaire peut bénéficier d’une protection par le droit d’auteur au sens de la directive 2001/29.
La Cour répond par la négative. Pour être protégé par le droit d’auteur, l’objet doit pouvoir être qualifié d’œuvre. Pour ce faire, la Cour rappelle que deux conditions cumulatives doivent être réunies : d’une part il faut que l’objet constitue une création intellectuelle originale ; d’autre part il faut une expression de cette création intellectuelle. Par ailleurs, cette expression doit rendre l’objet « identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité ».
Or elle retient que, concernant la saveur d’un produit alimentaire, une identification précise et objective est impossible. « En effet, à la différence, par exemple, d’une œuvre littéraire, picturale, cinématographique ou musicale, qui est une expression précise et objective, l’identification de la saveur d’un produit alimentaire repose essentiellement sur des sensations et des expériences gustatives qui sont subjectives et variables puisqu’elles dépendent, notamment, de facteurs liés à la personne qui goûte le produit concerné, tels que son âge, ses préférences alimentaires et ses habitudes de consommation, ainsi que de l’environnement ou du contexte dans lequel ce produit est goûté ». La Cour retient qu’il est nécessaire d’écarter tout élément de subjectivité qui pourrait entraîner une insécurité juridique. Cette motivation ne semble pas réellement convaincante car, par nature, la création d’une œuvre de l’esprit appelle à une analyse subjective du public.
La Cour conclut néanmoins en termes clairs que la saveur d’un produit alimentaire ne peut être considérée comme une œuvre et partant, bénéficier de la protection par le droit d’auteur.
Au même titre, les tribunaux refusent toujours de protéger les odeurs sur le fondement du droit d’auteur. Ainsi, par exemple, la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 décembre 2013 avait refusé de considérer que la fragrance d’un parfum était une œuvre de l’esprit. Cette fois-ci, la Cour fondait sa décision sur le critère de la « communication », soulignant qu’il était nécessaire que la forme de l’objet soit suffisamment précise pour permettre sa communication.
L’on peut toutefois relever que la CJUE reste prudente et ne ferme pas définitivement la porte à la protection dans le futur des saveurs (et des odeurs) par le droit d’auteur en précisant notamment qu’une identification précise et objective est impossible « par des moyens techniques en l’état actuel du développement scientifique ».
Margaux Robin