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CA Paris, Pôle 2, Ch. 7, 24 octobre 2012, Le Figaro c/Laboratoire Servier

L’affaire du Médiator a occupé les colonnes de la presse généraliste et spécialisée dont celles du Figaro.

A la suite de la publication d’un article comportant des citations extraites d’interrogatoires, les laboratoires Servier ont assigné le journaliste auteur de l’article, le directeur de la publication et la société éditrice en faisant valoir que certains articles avaient été publiés en violation des dispositions de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881 qui interdisent la publication des actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant leur lecture en audience publique.

L’article en cause comporte une dizaine d’extraits d’un procès verbal d’audition d’un témoin désigné par son nom dans le cadre de la procédure d’instruction ouverte devant le Tribunal de grande instance de Paris ayant donné lieu à la mise en examen du dirigeant des laboratoires Servier, de plusieurs sociétés du groupe qu’il dirige, des chefs d’escroquerie, tromperie aggravée et obtention indue d’une autorisation administrative.

Le moyen de nullité tiré du fait que l’article 38 ne figure pas parmi les dérogations au monopole de poursuite par le Ministère Public est écarté conformément aux motifs retenus en première instance. La personne victime de l’infraction prévue à l’article 38 n’est pas autorisée à mettre en mouvement l’action publique mais il ne peut être fait obstacle à l’action de la partie lésée devant la juridiction civile, la seule prohibition d’exercice de l’action civile séparément de l’action publique concernant les diffamations prévues aux articles 30 et 31.

Sur l’application de l’article 38, la Cour rappelle que les extraits n’ont pas simplement pour objet d’illustrer ou d’appuyer le propos de l’auteur de l’article mais sont présentés par deux phrases d’introduction de la journaliste additionnées et reliées seulement par quelques phrases de liaison de celle-ci, ce qui constitue la substance de l’article en cause et ce qui ne permet pas de les apprécier comme ayant la valeur de courte citation d’acte de procédure susceptible de ce fait d’échapper aux prévisions de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881.

Au visa de l’article 10 de la CEDH, la Cour énonce qu’informer le public sur un sujet tel que l’affaire du Médiator qui a trait à un problème de santé publique générale et plus précisément aux risques posés par l’utilisation de certains médicaments, présente sans conteste un intérêt majeur.

Elle relève que les citations du procès verbal d’audition du témoin sont de nature à accréditer dans l’esprit du lecteur la culpabilité des laboratoires Servier ou à tout le moins leur responsabilité.

Elle précise toutefois, que la publication de ces citations, si elle n’a pas été guidée par un souci d’impartialité, s’inscrit dans le cadre d’un large débat public préexistant sur la responsabilité des laboratoires Servier au regard du risque et des conséquences dommageables sur la santé du public et le recours au Médiator, ce qui présente un intérêt informatif général pour le public.

Une telle publication ne peut, au regard des dispositions de l’article 38, quand bien même cette exception doit être interprétée strictement, être considérée comme une atteinte au droit des laboratoires Servier à bénéficier d’un procès équitable et à l’autorité de l’impartialité de la justice.

En conséquence, l’application de l’article 38 à la publication incriminée est considérée comme constituant une ingérence disproportionnée dans l’exercice du droit à la liberté d’expression ne répondant pas (selon la terminologie habituelle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, l’article 10 de la CEDH, et l’application du principe de proportionnalité) à un besoin impérieux de protection de la réputation et des droits d’autrui ou de garantie de l’autorité ou de l’impartialité du pouvoir judiciaire et apparait, dès lors, non conforme aux dispositions de cet article 10.

La Cour infirme, en conséquence, le jugement entrepris en ce qu’il avait retenu l’application de l’article 38.

La Cour ouvre ainsi pour les sujets de santé publique revêtus d’un intérêt informatif général, la possibilité de publier les éléments recueillis au stade d’une instruction judiciaire ce qui donne un positionnement intéressant pour la presse dans le cadre du traitement de ce sujet.

Armelle FOURLON

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