CA Versailles, 1ère Ch. , 1ère sect., 19 novembre 2019
Par cet arrêt de la Cour d’appel de Versailles, rendu sur renvoi après cassation partielle, les juges apportent des précisions concernant la défense du droit moral d’un coauteur d’une œuvre de collaboration.
En 2013 a été publié un ouvrage biographique consacré à un chanteur célèbre décédé trois ans plus tôt. Il contenait des extraits de cinquante-huit chansons de l’artiste, dont la reproduction n’avait pas été autorisée par ses ayants-droits. Ces textes ont été écrits avec le concours de paroliers ou des poètes, travaillant avec l’artiste qui en composait spécialement la musique.
L’exécuteur testamentaire du chanteur a assigné la société éditrice de l’ouvrage pour contrefaçon et pour atteinte au droit moral.
En première instance, les juges ont débouté l’exécuteur testamentaire de son action en contrefaçon, considérant que le chanteur n’était pas l’auteur des textes mais uniquement le compositeur de la musique.
En conséquence, l’exécuteur testamentaire ne détenait aucun droit moral sur ces œuvres. De plus, les extraits reproduits étant jugés brefs et poursuivant un but informatif, l’exception de citation invoquée par la société éditrice a été retenue (TGI Paris, 17 déc. 2015, n° 14/06841).
En appel, la Cour d’appel de Paris infirme en partie ce jugement. Elle estime, pour certaines œuvres que le demandeur rapporte bien la preuve que les textes sont le fruit « d’une communauté d’inspiration et d’un mutuel contrôle des auteurs » au sens de l’article L.113-3 du Code de la propriété intellectuelle et qu’elles sont des œuvres de collaboration ; l’action concernant la défense du droit moral est donc jugée recevable. L’exécuteur testamentaire obtient gain de cause sur ce point en démontrant que l’auteur s’était fermement opposé de son vivant au principe d’une biographie le concernant.
La Cour retient une approche contraire à celle du Tribunal concernant l’exception de citation, estimant que la citation des extraits ne poursuivait pas un but pédagogique, critique ou informatif, (CA Paris, 16 décembre 2016, n°16/01448).
La société éditrice s’est pourvue en Cassation. La première Chambre civile a confirmé la qualification d’œuvre collaboration mais rappelle que l’ensemble des coauteurs devait être appelé à la cause. En l’espèce, l’exécuteur testamentaire du chanteur ayant omis d’attraire les coauteurs à la cause, la Cour d’appel de Paris ne pouvait juger ses demandes recevables au titre des droits patrimoniaux (Civ 1ère, 21 mars 2018, 17-14728).
La première Chambre civile indiquait toutefois, et ce pour la première fois, qu’il est possible pour un coauteur d’exercer son droit moral seul à la condition que sa contribution puisse être individualisée au sein de l’œuvre.
Sur renvoi, la Cour d’appel de Versailles devait se prononcer tant sur la recevabilité de l’action en défense du droit moral que sur l’atteinte au droit moral du fait de la reproduction de ces extraits. Elle se prononce également sur l’exception de citation de l’article L.122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle invoquée par l’éditeur de l’ouvrage.
- Sur la recevabilité de l’action en défense du droit moral
D’après une jurisprudence constante en la matière, la recevabilité d’une action d’un coauteur est subordonnée à la mise en cause de l’ensemble des coauteurs (Civ 1ère 4 oct. 1998, n°86-19.272, Civ 1ère 12 mai 2011, n°10-14.646). L’exercice du droit moral par un seul des coauteurs était jusqu’à présent épargné par cette exigence.
La Cour d’appel de renvoi, fait application du nouveau régime dégagé par la Cour de cassation. Constatant que l’action porte sur la défense du droit moral d’un coauteur, la recevabilité de l’action suppose donc que tous les coauteurs de chacune des œuvres soient appelés dans la cause. En l’espèce, l’exécuteur testamentaire et l’héritier d’un coauteur d’une partie des œuvres sont intervenus volontairement à l’instance. Ainsi, la Cour décide que l’action en défense du droit moral est recevable seulement pour ces œuvres. Pour les œuvres musicales où l’ensemble des coauteurs ne sont pas parties à l’instance, la Cour d’appel les juge irrecevables.
- Sur l’atteinte portée au droit moral
Classiquement, la Cour de Versailles rappelle que le droit moral impose d’une part le respect de l’intégrité de l’œuvre et d’autre part de son esprit.
En l’espèce elle juge que toute modification de l’œuvre, quelle qu’en soit son importance porte atteinte au droit moral de l’auteur. Elle retient que les textes et la musique sont indissociables, la mélodie, l’harmonie et le rythme ayant été créés spécialement en fonction du texte par le compositeur. Ainsi, la reprise d’extraits des textes, dissociée de la musique composée par l’auteur porte atteinte à son droit moral.
S’agissant de l’atteinte à l’esprit de l’œuvre, il y a atteinte dès lors qu’il est donné à l’œuvre une destination non expressément agréée par l’auteur. Le compositeur s’étant opposé fermement de son vivant à l’écriture d’ouvrages biographiques le concernant, la Cour en conclut que la reproduction de ces extraits au sein d’un ouvrage biographique porte atteinte à son droit moral.
- Sur l’exception de courte citation
Par application du principe d’interprétation stricte des exceptions, la Cour d’appel retient que la reproduction des extraits ne répond pas à des besoins pédagogiques, informatifs ou de critique. Elle rejette donc les demandes de la société éditrice sur ce point.
La Cour d’appel de Versailles condamne la société éditrice au paiement de dommages et intérêts d’un montant de 4 500 euros.
Lou Mailhac