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La Cour de cassation a rendu, le 13 janvier 2021, un arrêt important pour la sécurité juridique des pactes d’actionnaires, en admettant l’exécution forcée d’une cession d’actions d’un salarié-actionnaire alors qu’il y avait un litige sur le prix.

En l’espèce, un salarié, licencié pour faute grave, a été embauché quelques mois plus tard par une société concurrente. Ce salarié détenait des actions dans la société et il avait signé le Pacte d’actionnaires de la société.

Le Pacte d’actionnaires prévoyait qu’en cas d’embauche par une entreprise concurrente (disposition semblant s’apparenter à une clause de « leaver » doublée d’une condition de départ chez une entreprise concurrente), le salarié serait tenu de céder ses actions à première demande de l’actionnaire majoritaire. Le prix devait alors être déterminé d’un commun accord entre les parties et payable comptant à la date de la cession, étant précisé qu’en cas de désaccord sur le prix, rendant nécessaire le recours à une expertise, le prix serait payable dans les huit jours de sa fixation par l’expert choisi d’un commun accord ou désigné par le juge des référés.

Le salarié ayant été recruté par une société concurrente, les actionnaires de la société ont assigné en référé l’intéressé, en exécution des stipulations du Pacte, afin d’obtenir la cession forcée de ses actions en contrepartie du paiement comptant de la part invariable de la valeur des actions (soit la somme de 337 382 Euros).

La demande ayant été accueillie par la Cour d’Appel[1], le salarié a formé un pourvoi. Il soutient, arguant de l’article 1583 du Code civil, qu’à défaut d’accord sur le prix de cession des actions entre les parties, la vente n’était pas parfaite et ne pouvait intervenir avant la détermination définitive du prix.

Au regard des stipulations du Pacte, la Cour de cassation retient que la formalisation de la cession des actions et le paiement du prix pouvaient intervenir à deux moments différents en cas de désaccord nécessitant un recours à une expertise. Elle précise que le désaccord sur le prix n’était pas de nature à remettre en cause l’obligation principale pesant sur le salarié-actionnaire, qui était de céder ses actions.

La Cour de cassation rappelle également que le juge des référés est autorisé, lorsque l’obligation litigieuse n’est pas sérieusement contestable, à ordonner l’exécution de l’obligation, alors même qu’il s’agit d’une obligation de faire.

Par cette solution, la Cour de cassation considère que le prix était déterminable en l’espèce puisqu’il pouvait être fixé par l’expert de l’article 1592 du Code civil. Le Pacte ne reportant pas le transfert de la propriété à la date de fixation définitive du prix ou de son paiement complet, l’exécution de la vente pouvait être ordonnée. La formalisation de la cession et le paiement du prix peuvent donc intervenir à deux moments différents.

Toutefois, pour empêcher l’exécution forcée de la vente, le caractère discutable de l’obligation aurait pu être soulevé par le salarié sur le fondement de l’article 1592 du Code civil. Cet article dispose que si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation, il n’y a point de vente ; la loi du 19 juillet 2019[2] ajoutant “sauf estimation par un autre tiers”. La jurisprudence considère que si l’estimation ne peut être réalisée et le prix fixé, la vente est nulle. [3]  Ainsi faute de prix déterminé par un expert au jour de la décision, l’existence d’une contestation sérieuse aurait pu être défendue tenant à l’incertitude de la validité de la vente.

Cependant, la dissociation entre le transfert de propriété et le paiement de la part variable du prix présente indéniablement l’avantage de la sécurité et de l’efficacité du pacte d’actionnaires. En effet, lorsqu’il existe des conflits entre des actionnaires, la partie qui s’estime lésée par une cession forcée va souvent contester le prix de la cession et bien entendu faire obstruction au transfert de propriété. Ces contestations retardent l’effet juridique de la cession et peuvent entraîner des blocages durables, des différends lors des assemblées générales ou la mise sous séquestre des titres litigieux. Cette problématique est aggravée lorsqu’il s’agit d’un ex-salarié, embauché par une entreprise concurrente, car sa qualité d’actionnaire lui permet d’accéder à des informations confidentielles.

Malgré les risques d’une annulation de la vente a posteriori, cette solution pragmatique permet en pratique d’exclure promptement un minoritaire, les actionnaires bénéficiaires de la promesse de vente pouvant obtenir la cession forcée des actions simplement en référé et régler ultérieurement la question du paiement du solde du prix. Pour les rédacteurs de pacte d’actionnaires, il convient bien entendu de rédiger avec le plus grand soin ces clauses de sortie forcée ou d’exclusion en prévoyant (côté bénéficiaire de la promesse de vente) une dissociation entre le transfert de propriété et le paiement de tout ou partie du prix, ce qui permettra d’éviter le maintien du minoritaire dans la société et ainsi les difficultés notamment de concurrence ou de confidentialité qui peuvent en découler. Le fait de prévoir le versement d’une part fixe du prix dès la cession des titres participe certainement à la viabilité économique du schéma et donc à son équité au plan juridique. Enfin, la définition dans le pacte des conditions de déclenchement de la clause (soit pour une clause de « leaver », notamment les conditions du départ et éventuellement les critères de l’entreprise concurrente) reste évidemment un point d’attention classique et déterminant.

Cass. com. 13-1-2021 n° 19-11.726 F-D

[1] L’arret ne précise pas le sens de la décision du juge des référés, ni la partie qui a interjeté appel.
[2] Article 37 de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés
[3] Com., 9 mai 1985, n° 83-16.578 et Civ. 2, 8 avril 1999, n° 96-18.516

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