A l’occasion de l’examen du pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 16 novembre 2011, du chef des infractions de provocation à la discrimination, à la violence ou à la haine, en raison de l’origine ou de la race, diffamation publique et injure publique envers particulier ayant donné lieu à une condamnation à hauteur de 5.000 euros d’amende assortie d’une mesure de publication et de mesure sur les intérêts civils, la cour de cassation est venue affiner sa position sur le cumul de qualifications au visa des articles 50 et 53 de la Loi du 29 juillet 1881 et le régime de responsabilité du directeur de la publication d’un service de communication en ligne comportant un espace de contributions personnelles.
Il était reproché à l’arrêt d’avoir rejeté l’exception de nullité de la citation au motif du cumul de qualification, de diffamation raciale et de provocation à la discrimination ou à la haine raciale, appliquée dans la poursuite à la phrase « il est ashkénaze et a la double nationalité, ce juif rose ». L’arrêt retenait que nonobstant les dispositions de l’article 53 de la Loi du 29 juillet 1981, un fait unique peut recevoir plusieurs qualifications lorsque celles-ci ne sont pas incompatibles entre elles et que les valeurs protégées par les incriminations sont différentes. La Cour de cassation confirme que dès lors que les intérêts protégés par l’incrimination de diffamation raciale et ceux protégés par celle de provocation à la discrimination ou à la haine à raison de l’origine de la race, sont différents, ces qualifications ne sont pas inconciliables entre elles et sont donc susceptibles d’être appliquées concurremment.
S’agissant du régime de responsabilité, il était reproché à l’arrêt d’avoir considéré que le directeur de la publication avait agi alors qu’il avait connaissance du commentaire litigieux et n’avait pas réalisé promptement le retrait du message comme l’imposent les dispositions de l’article 93-3 5° de la loi du 29 juillet 1982.
La Cour de cassation relève que le prévenu, en sa qualité de directeur de publication du blog, avait reconnu qu’il vérifiait les commentaires postés sur son blog une fois pas semaine, hors période électorale, et une à deux fois par mois durant le temps électoral. Les élections régionales auxquelles participait le prévenu s’étant terminées le 21 mars 2010, il avait nécessairement eu connaissance du commentaire litigieux dans le courant du mois d’avril 2010, le commentaire ayant lui-même été mis en ligne le 8 avril 2010. Les juges d’appel ont donc justement déduit qu’en ne retirant ce message litigieux qu’en juillet 2010, le prévenu n’avait pas agi promptement conformément aux dispositions de l’article 93-3 5° de la Loi du 29 juillet 1982. Il résulte au surplus des déclarations du prévenu qu’il avait supprimé le message un mois après en avoir eu connaissance. La Cour de cassation valide donc que sans insuffisance ni contradiction, par des considérations de faits relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond, la Cour d’appel a justifié sa décision dès lors qu’en application de l’article 93-3 5° de la loi du 29 juillet 1982, lorsque l’infraction résulte du contenu du message adressé par un internaute à un service de communication en ligne, et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contribution personnelle identifié comme tel, le directeur de publication peut voir sa responsabilité engagée s’il est établi qu’il n’a pas agi promptement pour retirer ce message dès le moment où il en a eu connaissance.
La Cour retient qu’est diffamatoire le fait d’alléguer à l’encontre d’une organisation syndicale qu’elle bénéficie d’un financement frauduleux (bénéficier d’enveloppes, c’est-à-dire de subsides occultes) car ceci désigne un fait précis susceptible de faire l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire. La Cour relève également que le contexte de polémique politique n’est pas de nature à effacer le caractère méprisant et outrageant des propos employés à l’égard d’une victime (en l’occurrence un syndicat qualifié de « sectaire, extrémiste, intolérant et inquisiteur ») de sorte que l’injure doit être retenue et l’excuse de provocation écartée.
On notera que les propos poursuivis pouvaient, en outre, être considérés comme étant homophobes. Ce type de propos a motivé le retour devant le Sénat et l’Assemblée Nationale aujourd’hui en deuxième lecture d’une proposition de loi visant à rallonger à un an le délai de prescription, notamment, pour ce qui concerne les délits de provocation à la discrimination, la haine et la violence, de diffamations, d’injures, commis à raison de l’orientation sexuelle ou du handicap et ce alors que depuis 2004, les injures, diffamations et provocations à la haine raciste et xénophobe se prescrivent par un an.
Le contexte dans lequel ce texte revient à l’ordre du jour est particulier puisque le débat entourant l’examen du projet de loi relatif à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe a frayé un espace ouvertement homophobe notamment dans le cyberespace.
Cette proposition vient donc à point, selon les termes du rapporteur de la loi, pour remédier à une anomalie juridique en faisant en sorte que des actes punis des mêmes peines soient poursuivis dans les mêmes conditions.
Le texte adopté, le 7 février 2013, par le Sénat prévoit donc l’allongement de la durée de prescription à un an pour les délits sanctionnant les propos relevant de l’homophobie, du sexisme et d’handiphobie tels que visés à l’article 24 de la loi du 329 juillet 1881. Ce débat s’est élargi à la question de la définition de l’identité sexuelle, qui s’est vue substituée par amendement les termes « identité de genre ».
Cette proposition réinstaure collatéralement un débat récurrent quant à la nature de l’adresse IP. Un amendement a, en effet, été soumis afin que l’adresse IP soit exclue du champ des données à caractère personnel dès lors que cette adresse aurait vocation à révéler l’identité des auteurs d’informations et à en faciliter la poursuite. Cet amendement a, cependant, reçu un avis défavorable de la Commission des lois, cette dernière estimant que ce sujet doit faire l’objet d’un examen approfondi dans le cadre d’un groupe de travail dédié.
Armelle FOURLON