Une série de contentieux de délits de presse a opposé Google en raison de la fonctionnalité « Google Suggest ».
A l’occasion du rejet du pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de Cour d’appel du le 14 décembre 2011 qui avait infirmé un jugement de la 17ème Chambre du Tribunal de grande instance de Paris du 8 septembre 2010 [Cf Netcom 2010 ], la Cour de cassation juge que Google Suggest peut bénéficier de l’excuse de bonne foi, les critères de prudence dans l’expression et de sérieux de l’enquête se trouvant réunis au regard d’un procédé de recherche dont la fonctionnalité se borne à renvoyer à des commentaires d’un dossier judiciaire publiquement débattu.
Ces motifs succincts, requièrent de réexaminer la motivation extrêmement longue de l’arrêt d’appel qui avait exclu un certain nombre des arguments soulevés par la défense de Google pour trancher exclusivement sur l’excuse de bonne foi et la réunion des quatre critères requis pour en bénéficier. Après avoir fait siens les motifs du Tribunal, notamment, pour confirmer que la loi applicable est celle de l’état du lieu où le fait dommageable s’est produit, à savoir la loi française, le dommage invoqué s’étant réalisé en France, la Cour avait indiqué devoir vérifier le bien fondé de la motivation du Tribunal quant à l’application des articles 92-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.
Plusieurs constats ressortent de l’analyse technique de la fonctionnalité et notamment le fait que :
– le moteur de recherche Google peut effectuer un tri préalable entre les requêtes enregistrées dans la base de données, ce qui confirme qu’un contrôle a posteriori est possible ;
– une « intervention humaine, propre à éviter les dommages les plus évidents liés aux fonctionnalités en cause » est possible ;
– les sociétés Google et leur dirigeant ont eu parfaitement connaissance dés réception des mises en demeure que la fonctionnalité Google Suggest proposait, sur la requête Pierre B, les items incriminés et sont restés passifs.
La Cour d’appel adopte la motivation des premiers juges sur la qualification de diffamation en ce que l’association du patronyme du demandeur aux mots ou qualifications suivants « viol, condamner, sataniste, prison et violeur » est tout sauf dépourvue de signification, à la fois pour l’intéressé lui-même et pour les internautes qui se connectent au site google.fr, lesquels se voient proposer de tel thème de recherche alors qu’il ne les soupçonnaient pas et n’avaient nullement l’intention d’orienter leurs recherches sur un tel sujet. L’affichage non sollicité des expressions (Pierre B viol, Pierre B condamné, Pierre B sataniste, Pierre B prison, Pierre B violeur) fait ainsi nécessairement peser sur l’intéressé sinon une imputation directe de fait attentatoire à l’honneur ou à la considération du moins la suspicion de s’être trouvé compromis dans une affaire de viol, de satanisme, d’avoir été condamné ou d’avoir fait de la prison. Ces propositions constituent donc, au moins par insinuation des faits précis susceptibles de preuve et évidemment de nature à jeter l’opprobre sur qui en est l’objet, ce qui répond à la qualification de diffamation.
S’agissant de l’excuse de bonne foi, la Cour examine les différents critères et retient en premier lieu la légitimité du but poursuivi, les requêtes affichées par les fonctionnalités de la saisie semi-automatique servant un but légitime en ce qu’elle facilite les recherches des internautes. Elle note qu’aucun signe ne révèle que le dirigeant de la société Google Inc. ait éprouvé ce sentiment d’animosité personnelle vis-à-vis de monsieur B.
Sur les critères de prudence dans l’expression et de sérieux de l’enquête, la Cour les dit appréciés en fonction du mode de communication en cause. Lors de la mise en œuvre des fonctionnalités, la Cour relève qu’il n’est nullement fait obligation pour l’éditeur du contenu de procéder à une enquête journalistique ou de recueillir au préalable le point de vue personnel des personnes citées par les requêtes.
Le juge doit donc seulement vérifier le contenu de la base factuelle détenue et des informations accessibles à l’éditeur du contenu. Au sens littéral diffamatoire, les expressions dénoncées doivent donc être appréciées et considérées selon leur unique fonctionnalité, à savoir, faciliter l’accès à des sites traitant ou envisageant la problématique de l’expression.
La Cour confirme que chaque item renvoie à des blogs, des sites internet de journaux traitant de l’affaire judiciaire au cour de laquelle Pierre B a fait l’objet d’accusations relevant des termes suggérés. Les items dénoncés sont donc la synthèse des débats judiciaires. La Cour exclut les motifs du tribunal rédigés comme suit : « les défendeurs ne sauraient utilement soutenir que les items ne sauraient être lus séparément des articles auxquels elles renvoient alors que les internautes qui ne les ont pas sollicités, les voient s’afficher sous leurs yeux et peuvent ne pas se connecter au site concerné, ayant seulement retenu ce qu’il indiquait et signifiait ».
La Cour estime en effet que ce motif est hypothétique, ignore l’objet des fonctionnalités qui ont pour unique objectif de renvoyer aux articles et aux commentaires et occulte les faits et événements auxquels les items renvoient.
Dans cette mesure les items ne correspondant pas à des faits dénaturés, étant l’introduction à des commentaires d’un dossier judiciaire publiquement débattu, le bénéfice de l’excuse de bonne foi est accordé. La Cour énonce enfin, au visa de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, que le sujet abordé par les items est considéré comme légitime de discussion et de controverses, ce qui exclut de sanctionner les suggestions et les items concernés sauf à consacrer une ingérence disproportionnée.
Si l’analyse des spécificités techniques de la fonctionnalité Google Suggest aboutit à un consensus des juridictions, ces dernières ont pu cependant sanctionner à plusieurs reprises le délit d’injure commis du fait de l’association du nom de personnes morales ou physiques à des termes pouvant être considéré comme une invective ou un propos injurieux, voire outrageant notamment.
On relèvera enfin que le second moyen du pourvoi relatif à la responsabilité de la société Google France est rejeté, la Cour confirmant sa mise hors de cause dès lors que cette société n’a pas de responsabilité directe dans le fonctionnement du moteur de recherche, ni dans le site Google.fr et qu’elle n’était pas concerné par l’élaboration des items incriminés.
Armelle FOURLON