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Tribunal UE, 6ème Ch., 21 avril 2021, T-663/19

Dans cette affaire, le tribunal de l’Union a sanctionné fermement la pratique du dépôt réitéré de marque, pourtant courante. Elle consiste dans le fait de déposer une marque identique pour des produits déjà couverts par un précédent enregistrement, à l’issue du délai de 5 ans, afin d’éviter d’avoir à justifier de l’usage de celle-ci dans le cadre de procédures.

Cette décision n’est pas sans conséquence puisque tant en droit de l’Union qu’en droit français, la question de l’usage des marques est souvent au cœur des oppositions et  tout tiers peut former une demande en nullité ou en déchéance devant les offices.

En avril 2010, la société HASBRO a déposé une marque de l’Union européenne « MONOPOLY » en classes 09 (appareils divers, jeux électroniques, logiciels de divertissements, etc.), 16 (papeterie), 28 (jeux, jouets, etc.) et 41 (éducation, formation, divertissements, etc.).

En août 2015, une société croate introduit une demande en nullité contre cette marque, pour l’ensemble des produits et services visés faisant valoir la mauvaise foi de la déposante qui disposait déjà de trois marques verbales de l’Union européenne « MONOPOLY », enregistrées antérieurement, lesquelles couvraient déjà les produits et services visés à la dernière marque déposée en 2010. La société croate considérait que le dernier dépôt effectué avait pour seul objet de contourner l’obligation de prouver l’usage sérieux des marques antérieures.

Dans un premier temps, la division d’annulation de l’EUIPO rejette la demande d’annulation de la marque aux motifs qu’une demande de protection de la même marque sur une période de 14 ans n’était pas en soi révélateur de la volonté de se soustraire à l’obligation de prouver l’usage sérieux des marques antérieures et que rien ne venait corroborer l’allégation de mauvaise foi soutenue par la requérante.

Sur recours de la société croate, la deuxième Chambre de recours de l’EUIPO, après avoir entendu les parties dans le cadre d’une procédure orale et pris connaissance du témoignage d’une personne travaillant au sein de la société titulaire de la marque, annule partiellement la décision de la division d’annulation. La Chambre des recours annule ainsi la marque contestée pour les produits et services identiques à ceux couverts par les marques antérieures en retenant la mauvaise foi du titulaire.

La société titulaire de la marque forme un pourvoi contre cette décision et contestait d’une part la mauvaise foi relevée et d’autre part, faisait valoir la régularité de la pratique de dépôts successifs tenant notamment (i) à la réduction de la charge administrative, (ii) au fait qu’elle n’avait pas besoin de justifier de l’usage de la marque MONOPOLY pour des jeux compte tenu de sa notoriété et (iii) enfin, qu’il existait une « pratique industrielle courante et manifestement acceptée ».

Le tribunal rappelle qu’une marque de l’Union peut être déclarée nulle en application de
l’article 52 b) §1 du règlement n°207/2009, sur demande présentée auprès de l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, lorsque le demandeur était de mauvaise foi au moment du dépôt de la demande d’enregistrement.  En l’absence de définition de la mauvaise foi, le tribunal renvoie au sens courant qui suppose la présence d’un état d’esprit ou d’une intention malhonnête dans le contexte du droit des marques, soit dans la vie des affaires.

Rappelant également les règles sur la marque de l’Union européenne visant, en particulier, à contribuer au système de concurrence non faussée dans l’Union, le tribunal conclut que la cause de nullité absolue s’applique lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants et que le titulaire d’une marque de l’Union européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque, non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine.

Sur la charge de la preuve, le tribunal soulignant que la bonne foi du déposant est présumée, c’est en principe au demandeur en nullité d’établir la mauvaise foi. Toutefois, en l’espèce, le tribunal constate que les circonstances objectives invoquées par la requérante sont susceptibles de renverser la présomption de bonne foi et qu’il appartient alors au déposant de fournir les explications plausibles concernant les objectifs et la logique commerciale poursuivis par la nouvelle demande d’enregistrement de marque.

Sur le fond, le tribunal relève qu’aucune disposition de la réglementation relative aux marques de l’Union européenne n’interdit le dépôt réitéré d’une demande d’enregistrement de marque et qu’un tel dépôt ne saurait, en lui-même, établir la mauvaise foi du demandeur. Cependant, en l’espèce, la société titulaire avait admis, et même soutenu, que l’un des avantages justifiant le dépôt de la marque contestée reposait sur le fait de ne pas avoir à apporter la preuve de l’usage sérieux de cette marque.

Le tribunal sanctionne un tel comportement considéré comme contraire aux principes régissant le droit des marques de l’Union européenne et à la règle relative à la preuve de l’usage.

Le tribunal rejette l’ensemble des arguments en considérant que (i) dès lors que les marques antérieures n’avaient pas fait l’objet de renonciations, l’intérêt de tels dépôts lié à la réduction de la charge administrative était difficile à constater en raison du surcroît de travail et d’investissement impliqués par l’accumulation de marques identiques, (ii) que la question n’est pas de savoir si le déposant pouvait justifier de l’usage mais portait sur son intention lors du dépôt et (iii) enfin, que la prétendue pratique invoquée n’est pas étayée mais surtout que « le simple fait que d’autres entreprises puissent recourir à une certaine stratégie de dépôt ne rend pas nécessairement cette stratégie légale et acceptable ».

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