À l’occasion de la confirmation du statut d’hébergeur d’un site web, un Tribunal invite à la révision des clauses de cession de droits de propriété intellectuelle imposées sans négociation aux internautes

TGI Paris, 3ème Ch., 1ère Sect, 29 mai 2012

Plusieurs filiales d’une chaîne de télévision généraliste présentes pour certaines sur le web ont agi en leurs qualités de producteurs ou de coproducteurs, et de diffuseurs de programmes propres ou exploités en licence à l’encontre d’un site web 2.0 (le Site). Leur action menée sur le fondement de la contrefaçon de leurs droits d’auteur et droits voisins  à titre principal, en contrefaçon de marques, et en parasitisme et concurrence déloyale à titre subsidiaire a été rejetée pour un certain nombre de programmes à défaut de preuve des droits dont elles bénéficiaient, en raison de la limitation de la portée des droits concédés, et du fondement invoqué. Pour écarter la faute du Site, la décision confirme les limitations de responsabilité d’hébergeur jusqu’alors reconnues aux sites web 2.0 dans le cadre des contenus qui ne sont pas mis en ligne à leur initiative. Le Tribunal égratigne sur un autre terrain le Site, en dehors de sa saisine, en remettant en cause les cessions de droits consenties par les internautes et figurant dans les CGU du Site.

Le Tribunal pose dans le cadre de l’appréciation des fins de non recevoir au regard du droit d’auteur que la détermination des œuvres dont la contrefaçon est alléguée ne peut résulter des captures d’écran issues des procès verbaux de constat mais qu’il appartient aux demanderesses de lister précisément les programmes ou contenus sur lesquels elles prétendent détenir des droits, de préciser émission par émission quand elles ont été diffusées et de mettre en concordance ces contenus ou programmes avec les captures d’écran, et de préciser également le fondement juridique applicable à chaque société et chaque type de contenu, afin de permettre au Tribunal de statuer.

Le Tribunal examine ainsi pour chaque entité la qualité alléguée et la recevabilité à agir. Chaque demanderesse va voir nombre de ses prétentions rejetées :
– Lorsqu’elle se présente comme producteur de vidéogrammes ou ayant droit de ces derniers au sens de l’article L.215-1 du CPI, parce qu’elle ne prouve pas avoir cette qualité en ayant eu l’initiative de la première fixation de l’œuvre et ne s’est vue concéder que des droits d’exploitation parfois postérieurement à l’introduction de l’instance (comme c’est le cas pour certains programmes sur l’exploitation en VOD) et sans exclusivité susceptible de lui donner le pouvoir d’agir aux lieu et place du titulaire de droits comme le prévoit l’article L.331-1 du CPI ;
– Lorsqu’elle se présente comme coproducteur de films, en l’absence de notification de l’assignation à son coproducteur indivis, et en l’absence notamment de preuve de l’exclusivité concédée ;
– Pour ce qui concerne l’entité en charge de l’exploitation web, en l’absence d’éléments relatifs à sa date de création, à la nature des programmes concernés et à la détermination de ceux sur lesquels elle revendique des droits.

Les chaînes de télévision rattachées au groupe, l’une généraliste et l’autre d’information se heurtent aux conditions posées à l’article L.216-1 du CPI, non pas en leurs qualités non contestés d’entreprises de communication audiovisuelles mais s’agissant de la preuve de la première diffusion. Le Tribunal reprend la définition doctrinale du programme audiovisuel, à défaut de texte légal : le programme est ainsi défini « comme une émission ou une suite d’émissions, constituées de signes, sons, images, ou données de toute nature n’ayant pas le caractère de correspondance privée ». Il en déduit que seul l’investissement est protégé et non l’œuvre, la condition d’originalité n’étant pas requise. Il note que le bénéfice du régime de l’article L.216-1 du CPI impose que l’œuvre ait été déjà diffusée au moins une première fois. Or, le Tribunal relève ne pas être en mesure de déterminer ce qui a été diffusé et à quel moment cela l’a été. La chaine d’information échoue dans sa démonstration, les pièces émanant d’elle-même et les données exploitées à partir des procès verbaux de constat étant contredites par d’autres pièces. La chaîne généraliste évoquant notamment ses droits sur les évènements sportifs est quant à elle déclarée recevable du fait de la production de la liste des évènements, de leur date de retransmission au public et de la preuve de leur reprise sur le Site assigné.

Les demandes sont en outre rejetées sur le fondement du droit d’auteur pour certains programmes propres, en raison du défaut de démonstration de l’éligibilité des programmes  (journal d’information et journal consacré à l’économie) au droit d’auteur. S’agissant des droits d’exploitation prétendument concédés à titre exclusif, le Tribunal reprend ses motifs précédents pour déclarer la chaîne irrecevable en l’absence de démonstration (i) de la réalité de l’exclusivité des droits, (ii) de l’acquisition des droits d’exploitation en VOD, en raison des limitations liées à la durée des cessions dont elle bénéficiait, et à défaut d’avoir versé au débat les contrats relatifs aux retransmission des évènements sportifs.

Enfin, au motif de l’interdiction du cumul des fondements juridiques pour obtenir la réparation d’un même préjudice, la chaine est également déclarée irrecevable à agir sur le fondement du droit d’auteur et de l’article L. 216-1 du CPI. C’est au visa de ce dernier article que les demandes vont être examinées afin de savoir si leur reprise sur le Site constitue ou non une faute, au vu du statut et du régime de responsabilité du Site. Une autre condition de l’article L. 216-1 du CPI fera échec à la mise en cause de la responsabilité du Site.

Pour apprécier le statut du Site et son régime de responsabilité, le Tribunal cite les décisions de la Cour de cassation et de la CJUE pour écarter des critères de qualification de l’éditeur :
– Les opérations purement techniques de ré-encodage ou de formatage ;
– La mise en place d’outils de cadres de présentation et de classification ;
– La commercialisation d’espaces publicitaires sur laquelle le Tribunal reviendra ;
– Le stockage d’offres à la vente et la détermination des modalités de fonctionnement de son service.

Il ajoute que l’existence de « thèmes de recherches proposés » parmi lesquels les « vidéos les plus populaires » et la « sélection vidéo » ne signifie pas que le site organise ou contrôle le contenu. Il ne saurait être reproché du Site d’utiliser ces outils pour promouvoir non pas les contenus les plus attractifs mais ceux qui sont objectivement les plus demandés et ainsi valoriser sa page d’accueil et faire de la publicité.

L’analyse des conditions générales d’utilisation (CGU) du Site révèle également qu’il ne met pas en place un contrôle a priori ni a posteriori des contenus postés mais se cantonne à ses obligations d’une part de lutte notamment contre la pédophilie, et les crimes contre l’humanité ainsi que d’incitation à la haine raciale et d’autre part d’hébergeur. Les demanderesses sont jugées défaillantes dans la démonstration in concreto du dépassement par le Site des limites imposées à sa mission d’hébergeur et d’un rôle autre qu’automatique et neutre dans le stockage des vidéos. La critique liée à la commercialisation d’espaces publicitaires est écartée, la LCEN ayant prévu que les activités d’hébergement peuvent être réalisées à titre onéreux ou gratuit, le recours à la publicité étant de facto licite.

Le statut d’hébergeur est donc confirmé. La faute du site est dans ce cadre qualifiée à travers sa défaillance à respecter son obligation de prompt retrait : le délai de cinq jours est jugé trop long.

Toutefois, la faute du Site est écartée  au regard du seul fondement retenu : l’article L.216-1 du CPI s’appliquant en présence d’un droit d’entrée qui fait défaut en l’espèce.

Le Tribunal évoque également l’existence du programme « Content ID » mis en œuvre par le Site et utilisé par les demanderesses, ainsi que celle d’un accord conclu entre les parties le 16 décembre 2011, date depuis laquelle aucune atteinte n’est à déplorer.

La contrefaçon de marque n’est pas retenue à défaut de preuve (i) d’un usage de marque, la seule présence des logos sur les vidéos ne pouvant le qualifier (ii) et de démonstration d’une atteinte à la fonction d’origine de la marque.

Enfin, sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme, le Tribunal rejette les demandes des filiales déclarées irrecevables sur le fondement du droit d’auteur, à défaut également pour elles de démontrer la preuve des investissements et des avantages économiques dont elles demandent la protection. Pour la société agissant sur le fondement de l’article L.216-1 du CPI, les faits distincts ne sont pas rapportés. Le détournement de valeurs économiques n’est pas retenu, aucune faute n’étant imputable au Site sur le fondement des dispositions de l’article L.216-1 du CPI. Les éléments servant à quantifier le préjudice sont également écartés, les chiffres allégués étant contestés (le nombre de vidéos disponibles comme la perte moyenne de chiffre d’affaires pour chaque visualisation). Le Tribunal énonce également que le modèle économique du Site n’est ni interdit, ni illicite. Comme un postulat, il pose que « les sociétés hébergeant des plate-formes d’échanges de contenus sont un nouveau vecteur de communication  qui comme tous les nouveaux opérateurs arrivant sur le marché, ont capté une part de recettes publicitaires comme l’ont fait auparavant les sociétés de télévision qui ont contraint la presse papier, les radios et le cinéma à partager les recettes publicitaires » et relève qu’aucune perte de ventes de vidéos notamment pour la reprise de journaux télévisés ou des émissions de télé réalité, non vendues en DVD n’est démontrée, le visionnage étant au surplus limité sur le Site à quelques minutes.

A l’occasion de l’examen des CGU du site, le Tribunal revient sur la clause de cession de droit d’auteur y figurant pour souligner que l’acquisition de façon automatique et systématique des droits sur les contenus postés par les internautes, n’est pas en contradiction avec son activité d’hébergeur. En revanche et de manière surabondante c’est-à-dire au-delà de ce que les parties arguaient, le Tribunal considère que cette clause est contestable au regard du droit d’auteur faute de préciser les limites temporelles et spatiales et de répondre aux critères de la cession à titre gratuit. On notera que la clause précise que la cession est faite pour le « monde entier » et « sans contrepartie financière » mais ne comporte effectivement pas de durée. Cette observation devrait inciter les sites et réseaux sociaux à réexaminer les rédactions de leur clause de cession.

Cette décision rendue après quatre années de procédure devrait faire l’objet d’un appel.

Armelle FOURLON

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