Skip to main content
Droit des sociétés

Absence de juste motif ne signifie pas absence de motif

  27 mars 2014mars 23rd, 2018Aucun commentaire
Imprimer

Arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 14 mai 2013, n°11-22.845

La Chambre commerciale de la Cour de cassation indique clairement par cet arrêt que le respect du principe du contradictoire, dans le cadre de la révocation d’un dirigeant, implique de communiquer à celui-ci, préalablement au vote de la résolution statuant sur sa révocation, les motifs pour lesquels sa révocation était proposée. Par ailleurs, cet arrêt réaffirme que toute clause figurant dans un pacte d’associé ne peut pas avoir pour objet ou pour effet de limiter ou empêcher la révocation d’un dirigeant.

En l’espèce, un des actionnaires d’une société avait proposé, au cours de l’assemblée générale annuelle et sans que ce point figure à l’ordre du jour, que soit mise aux votes la révocation du Président Directeur Général (PDG) de la société de son mandat d’administrateur.

Il lui avait été proposé de s’exprimer avant la mise au vote de cette résolution. Le dirigeant avait alors demandé plusieurs suspensions de séances (d’une durée totale de plus de 3h) au cours des débats préalables à la mise au vote de la résolution relative à sa révocation. Il avait lu une déclaration écrite qu’il avait demandé à voir annexer au PV de l’AG, demande qui a été satisfaite.

La résolution relative à sa révocation d’administrateur avait ensuite été adoptée par l’assemblée générale.

Le conseil d’administration de la société qui s’était tenue quelques jours après cette assemblée avait pris acte de cette révocation, avait constaté en conséquence que celui-ci était réputé démissionnaire de ses fonctions de Président du conseil d’administration, et avait, à l’unanimité, mis également fin à son mandat de directeur général.

Ce dirigeant avait alors assigné la société et ses actionnaires devant le Tribunal de commerce de Paris pour demander leur condamnation à des dommages et intérêts pour révocation abusive.

On rappellera, dans le cadre de ce litige, que l’article L. 225-18 du Code de commerce dispose que les administrateurs peuvent être révoqués à tout moment par l’assemblée générale et que l’article L. 225-105, alinéa 3, du Code de commerce dispose que l’assemblée générale peut révoquer un ou plusieurs administrateurs en toutes circonstances et procéder à leur remplacement sans que la question de révocation et de remplacement figure à l’ordre du jour.

L’argumentation de la société et des actionnaires, reprise par la Cour d’appel de Paris, mentionnait que la révocation peut être décidée à tout moment sans préavis ni précision de motifs. Dès lors, ils estimaient que le principe d’ordre public de la révocabilité ad nutum (c’est-à-dire sans motifs) de l’administrateur interdit de qualifier de fautive l’absence de préavis. L’assemblée générale appelée à approuver les comptes d’un exercice est le moment adéquat pour prononcer une décision de révocation, qui peut intervenir à tout moment. Chaque actionnaire était libre d’exercer son droit de vote et n’a pas à s’expliquer sur celui-ci.

Pour eux, les motifs de la révocation n’ont pas à être énoncés par l’assemblée générale qui la prononce, que seuls peuvent être incriminés, au titre d’une révocation abusive (c’est-à-dire lorsqu’elle intervient dans des circonstances révélant une faute ouvrant droit à réparation du préjudice sur le fondement du droit commun de l’article 1382 du Code civil), la violation des principes du contradictoire et des droits de la défense, le caractère vexatoire et injurieux, l’atteinte à la réputation de la personne révoquée.

Ils considéraient dès lors que la révocation de l’administrateur en l’espèce n’était pas abusive car la révocation n’avait été mise aux votes qu’une fois que les observations écrites et orales du dirigeant révoqué avaient été présentées.

La Chambre commerciale de la Cour de Cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait repris l’argumentation de la société et de ses actionnaires au visa de l’article 1382 du Code civil. Elle énonce dans un attendu de principe que la révocation d’un administrateur peut intervenir à tout moment et n’est abusive que si elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à sa réputation ou à son honneur ou si elle a été décidée brutalement, sans respecter l’obligation de loyauté du droit de révocation.

La Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché, comme elle y était invitée, si l’administrateur révoqué avait eu connaissance des motifs de sa révocation avant qu’il fût procédé au vote.

Il ressort ainsi de cet arrêt de la Cour de cassation que l’absence de juste motif ne signifie pas absence de motif. Le motif de révocation doit être communiqué au dirigeant préalablement au vote de la résolution relative à sa révocation afin de respecter le principe du contradictoire et plus largement les droits de la défense, et ce, même si la révocation intervient sans juste motifs, c’est-à-dire sans que le motif avancé soit un juste motif de révocation, cela n’entraînant pas le versement de dommages et intérêts.

Par ailleurs, la jurisprudence rappelle par cet arrêt que toute clause portant atteinte à la libre révocabilité d’un administrateur est nulle. La cour sanctionne ici la clause du pacte invoqué par l’administrateur révoqué qui aurait eu pour effet d’empêcher l’assemblée générale de le révoquer. Cette clause prévoyait que la désignation des personnes clés de la société devait être préalablement autorisée par le Conseil d’administration. L’administrateur entendait invoquer cette clause par parallélisme en considérant que cela incluait également la révocation et qu’en ne soumettant pas auparavant au conseil cette question, les investisseurs financiers ont contrevenu délibérément aux dispositions du pacte.

Mathieu BOURSON

Imprimer