(Cass. 3e civ. 7-12-2023 n° 22-18.665)
Le refus d’un associé minoritaire de voter la prorogation du terme d’une société est susceptible de constituer un abus de minorité, lorsque le vote de l’associé minoritaire est contraire à l’intérêt général de la société et a pour unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l’ensemble des autres associés. En l’espèce, la position de l’associé minoritaire reposait uniquement sur un intérêt « spéculatif » consistant en la dissolution escomptée de la société, alors qu’il était de l’intérêt général que son terme fût prorogé.
En l’espèce, il s’agissait d’une SCI créée afin que ses associés profitent de l’usage et de l’agrément d’un château et de ses dépendances. En prévision de l’arrivée du terme statutaire de la SCI, une assemblée avait été réunie pour décider sa prorogation, mais cette résolution n’avait pas été adoptée, du fait du refus exprimé par les associés minoritaires détenant 30% du capital de la SCI.
Les associés majoritaires ont alors saisi le tribunal de grande instance en vue de voir reconnaître un abus de minorité. Ils demandaient la désignation d’un mandataire ad hoc avec pour mission de voter en lieu et place des minoritaires lors de toute nouvelle assemblée générale qui serait convoquée en vue de proroger le terme de la société.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence a fait droit à cette demande en retenant un abus de minorité, ce qu’approuve la Cour de cassation.
Le pourvoi exploitait principalement un obstacle juridique tiré du droit des contrats : se prévalant du principe du consensualisme, le demandeur au pourvoi rappelait que le renouvellement d’un contrat à durée déterminée suppose l’accord de tous les contractants. Par conséquent, les associés minoritaires avaient un droit acquis à voir la société prendre fin au terme initialement prévu ; selon eux, il n’y a pas d’abus, en somme, à refuser de proroger une société. Cet argument est rejeté par la Cour de cassation : la société se démarque ainsi d’un contrat de droit commun.
Quant aux critères de l’abus de minorité, la Cour de cassation rappelle, selon une jurisprudence bien établie[1], qu’il faut que soit rapportée la preuve de ce que (i) la société est empêchée de prendre une décision essentielle et que (ii) ce comportement est dicté par la recherche de ses propres intérêts au détriment des autres associés.
Pour convaincre de la réalité d’un tel abus dans le cas d’espèce, la Cour a repris, en la considérant souveraine, l’appréciation des faits par la cour d’Aix-en-Provence. À ce titre, il est intéressant de noter que l’argument du minoritaire fondé sur « l’activité structurellement déficitaire » de la société n’a pas permis de justifier son refus de proroger le terme de la société, car la SCI n’avait nullement été constituée « en vue de dégager des bénéfices ». Quant à l’intérêt personnel qu’avait poursuivi le minoritaire aux dépens des intérêts de ses coassociés, il est caractérisé par le fait qu’au lieu d’exercer son droit de retrait, il avait au contraire acquis des parts sociales, dans le but spéculatif d’obtenir, par la dissolution de la société, un boni de liquidation.
Pour aller plus loin :
L’hypothèse de l’abus par refus de prorogation du terme de la société est envisagée par une partie de la doctrine. Les auteurs du Mémento Lefebvre Sociétés commerciales écrivent ainsi « [qu’] un tel refus peut constituer, de la part des associés minoritaires ayant voté contre la prorogation, un abus de minorité dont les conséquences dommageables peuvent donner lieu à réparation »[2]. Le professeur Philippe Merle considère que « l’abus le plus fréquent consiste à bloquer toute modification du pacte social en refusant par exemple de voter une décision d’augmentation du capital ou de prorogation de la société »[3]. En d’autres termes, la sanction des abus de minorité concerne également des décisions qui, indirectement, visent à la prorogation de la durée de la société alors que celle-ci irait sinon vers sa dissolution[4].
[1] Cass. Com. 15 juil. 1992, n° 90-17.216 ; Cass. Com. 20 mars 2007, n° 05-19.225 ; Cass. 3e civ. 5 juil. 2018, n° 17-19.975.
[2] Mémento Sociétés commerciales, 2024, n° 20805.
[3] Philippe Merle (avec la collaboration de Anne Fauchon), Droit commercial : sociétés commerciales, 27e éd., 2023 – 2024, Dalloz, n° 665.
[4] Cass. com. 9 mars 1993, n° 91-14.685 : l’abus de minorité peut résulter du refus de voter une augmentation de capital légalement requise et nécessaire à la survie de la société ; Cass. Com. 19 mars 2013, n° 12-16.910 : l’abus de minorité peut résulter du refus de voter une modification de l’objet social, dès lors que cette modification est nécessaire à la survie de la société.