Abus de position dominante et Publicité en ligne : l’Autorité de la concurrence française sanctionne Apple pour son App Tracking Transparency

Aux termes de la décision n° 25-D-02 du 28 mars 2025, l’Autorité de la concurrence française a prononcé une sanction de 150 millions d’euros à l’encontre d’Apple pour avoir abusé de sa position dominante sur le secteur de la publicité sur applications mobiles sur les terminaux iOS et iPadOS.

A compter du mois d’avril 2021 et jusqu’en juillet 2023, Apple avait mis en place un dispositif de transparence du suivi par les applications mobiles dénommé App Tracking Transparency (« ATT »). Ce dispositif consistait à demander le consentement des utilisateurs d’iPhones ou d’iPads aux opérations de collecte de leurs données sur des applications tierces (autres que les applications préinstallées par Apple sur ses appareils) à des fins de ciblage publicitaire via l’affichage d’une fenêtre dédiée dont le format était partiellement standardisé. En cas de consentement de l’utilisateur, l’application pouvait accéder à l’Identifier for Advisers (« IDFA »), l’identifiant du terminal qui permet le suivi de celui-ci.

Il convient de noter que bien que ce dispositif eût pour objectif affiché d’améliorer la protection de la vie privée des utilisateurs, l’ATT était indépendant des exigences de conformité aux obligations du RGPD et de la directive ePrivacy.

Dans cette affaire, l’Autorité de la concurrence avait tout d’abord été saisie fin 2020 d’une demande de mesures conservatoires par plusieurs associations représentant les différents acteurs de la publicité en ligne qui considéraient que le dispositif ATT constituait un obstacle aux possibilités de réaliser de la publicité ciblée, source de financement considérable pour les éditeurs d’application et autres acteurs de la publicité en ligne. Par une décision du 17 mars 2021, l’Autorité avait néanmoins refusé la demande de mesure conservatoire tout en ordonnant la poursuite de l’instruction au fond du dossier[1].

Aux termes de la décision du 28 mars 2025, l’Autorité considère que si le dispositif ATT n’est pas critiquable dans son principe au regard des bénéfices qu’il est susceptible d’apporter en matière de protection de la vie privée des utilisateurs, ses modalités concrètes de mise en œuvre sont abusives au sens du droit de la concurrence, notamment du fait qu’elles complexifient artificiellement le parcours des utilisateurs d’applications tierces et faussent la neutralité du dispositif ATT.

En substance, l’Autorité formule les trois reproches suivants à l’encontre du dispositif ATT mis en place par Apple :

Premièrement, l’Autorité considère que le dispositif ATT n’est pas nécessaire puisqu’il ne permet pas le recueil d’un consentement valable au regard du droit applicable, ce qui en pratique contraint les éditeurs d’applications tierces à devoir continuer à recourir à leurs propres solutions de recueil du consentement. Il en résulte une multiplication des fenêtres de recueil de consentement compliquant excessivement le parcours des utilisateurs d’applications tierces, ce dont la CNIL avait déjà fait état dans un avis rendu à la demande de l’Autorité en mai 2022.

Deuxièmement, l’Autorité relève que la conjonction entre les limitations de la fenêtre ATT et les règles de mise en œuvre du dispositif décidées par Apple porte atteinte à la neutralité du dispositif dès lors que, si le refus ne doit être effectué qu’une fois par l’utilisateur, l’acceptation d’une opération de traçage publicitaire doit quant à elle toujours être confirmée une seconde fois. En effet, lorsque l’utilisateur refuse le suivi dans le cadre d’une première fenêtre (en l’occurrence la fenêtre ATT), l’exigence tenant au recueil d’un consentement univoque interdit qu’il soit immédiatement invité à réitérer son choix.

L’Autorité relève ainsi que la conception et la mise en œuvre de l’ATT compliquent ainsi artificiellement l’acceptation du suivi par rapport au refus. Il résulte de cette asymétrie des conséquences négatives, tant pour les utilisateurs que pour les éditeurs d’applications, en particulier ceux qui dépendent de la publicité pour assurer la rentabilité de leur activité.

Troisièmement, l’Autorité constate l’existence d’une asymétrie de traitement entre Apple et les éditeurs tiers. Ainsi, alors que les éditeurs tiers devaient recueillir un double consentement auprès des utilisateurs pour les opérations de suivi, Apple ne demandait pas le consentement des utilisateurs s’agissant de ses applications propres. Apple a d’ailleurs été sanctionné par la CNIL de ce fait pour avoir porté atteinte à l’article 82 de la loi Informatique et Liberté[2]. L’Autorité relève en outre qu’au moment de l’instruction cette asymétrie perdurait dans la mesure où Apple avait mis en place une fenêtre « Publicité Personnalisée » unique pour recueillir le consentement des utilisateurs pour sa propre collecte de données, tandis qu’elle continuait d’exiger un double consentement pour la collecte de données tierces réalisées par les éditeurs.

A l’issue de son analyse, l’Autorité de la concurrence relève enfin que si le dispositif ATT a eu des conséquences pour l’ensemble des éditeurs d’application, il s’est révélé particulièrement néfaste pour les plus petits acteurs dans la mesure où, en l’absence notamment de données propriétaires en nombre suffisant, ces derniers ne bénéficient pas de possibilités de ciblage alternatives. En outre, et contrairement aux principales plateformes verticalement intégrées, ces opérateurs dépendent en grande partie de la collecte de données tierces pour financer leur activité.

Cette affaire constitue un nouvel exemple de collaboration entre l’Autorité de la concurrence et la CNIL.

En effet, la CNIL a rendu deux avis à la demande de l’Autorité sur les différentes questions d’application de la législation relative à la protection de la vie privée soulevée par cette affaire, dont l’Autorité a tenu compte dans son analyse concurrentielle. Ces avis ont notamment permis de mettre en avant le fait que la mise en conformité du dispositif ATT avec le droit de la concurrence n’aurait pas conduit Apple à dégrader l’efficacité de son dispositif de protection de la vie privée.


[1] Décision n° 21-D-07 du 17 mars 2021 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par les associations Interactive Advertising Bureau France, Mobile Marketing Association France, Union Des Entreprises de Conseil et Achat Media, et Syndicat des Régies Internet dans le secteur de la publicité sur applications mobiles sur iOS

[2] Délibération SAN-2022-025 du 29 décembre 2022