Achat-revente d’actions ou de parts sociales par un mandataire social et obligation de loyauté vis-à-vis des actionnaires ou des associés
Le dirigeant mandataire social d’une société est parfois approché par d’éventuels acquéreurs intéressés par l’acquisition d’actions ou de parts sociales de celle-ci. Ce dirigeant, surtout s’il est lui-même actionnaires ou associé, peut alors être tenté d’organiser non seulement la vente des ses propres actions ou parts sociales, mais également celles d’autres actionnaires ou associés auxquels il achèterait lesdites actions ou parts en vue de leur revente à l’acquéreur final.
La jurisprudence est riche en décisions où des actionnaires ou associés, vendeurs de leur participation au dirigeant de la société à un certain prix, ont pu constater que cette cession n’était en réalité qu’un prélude à une revente à bref délai orchestrée par le dirigeant à des conditions meilleures. Lesdits actionnaires ou associés, qui s’estiment lésés, lancent des actions judiciaires contre le mandataire social en cause.
Les développements qui suivent ont pour objet, sans ambition d’exhaustivité, de résumer les points clés de ces jurisprudences, afin d’inciter à la prudence pour ce genre de transactions qui peuvent donner lieu à des sanctions substantielles pour le mandataire social qui s’y livre (nous l’appellerons ci-après le « Mandataire Social»).
1. La simultanéité des deux transactions
Ce qui est souvent reproché au mandataire social instigateur de ces opérations à deux volets, c’est d’avoir incité le vendeur initial à lui céder ses titres, tout en laissant ledit vendeur dans l’ignorance du second volet de l’opération, à savoir la revente à un tiers ou la perspective de revente dans le cadre de négociations déjà engagées et à des conditions bénéficiaire pour le Mandataire Social. Si cette circonstance, déjà existante, avait été connue du vendeur initial, il est plus que vraisemblable qu’il n’aurait pas accepté de céder ses droits sociaux au Mandataire Social ou à la société cessionnaire que celui-ci a créé dans ce but (ou à tout le moins au prix qui lui a été proposé). La Cour de Cassation a confirmé le caractère lésionnaire de l’opération dés lors qu’il avait pu être constaté par les juges du fond qu’une différence de prix importante existait entre la première et la seconde vente et était ignorée du cédant, car si cette différence avait été connue, la première cession n’aurait, selon toute vraisemblance, pas eu lieu (Cass. Civ. 1, 25 mars 2010, N°08-13060).
2. Le devoir de loyauté du mandataire social
Ce devoir de loyauté n’est pas inscrit dans les textes mais découle notamment de la fameuse jurisprudence Vilgrain (Cass. Com, 27 février 1996 D. 1996, Jur. p. 518). Dans cette espèce, reflet parfait du contexte que l’on s’efforce d’éclairer ici, le Président et actionnaire d’une importante société familiale, avait acheté à une parente des actions de ladite société et lui avait fait vendre d’autres actions de cette même société à d’autres parents (les « Cousins Acquéreurs »). La première venderesse ne savait pas que le Président de la société (qui n’avait rien fait pour la renseigner) était mandaté (et même rémunéré) par les Cousins Acquéreurs pour trouver un acquéreur pour leurs titres. C’était ce à quoi avait s’était déjà employé le Président, ce qui leur a permis à tous de réaliser un gain très significatif, la seconde vente au tiers acquéreur s’opérant 4 jours seulement après la première cession intrafamiliale. La Cour de Cassation a confirmé l’appréciation de la Cour d’Appel reprochant au mandataire social une réticence dolosive et a souligné à cette occasion le « devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant d’une société à l’égard de tout associé, en particulier lorsqu’il est intermédiaire pour le reclassement de sa participation ». La jurisprudence a par la suite en maintes occasions réaffirmé l’existence de cette obligation de loyauté qui a pour conséquence que le mandataire social, saisi d’une offre d’achat des titres de la société dans la quelle il exerce ses fonctions ou même d’une simple manifestation d’intérêt pour ceux-ci, dés lors qu’il est susceptible de s’enrichir au dépens d’un associé à cette occasion, doit en aviser ses mandants, c’est à dire les associés. Ce devoir spécifique qui s’impose au mandataire social n’est pas la conséquence d’une obligation générale d’information sur la valeur des droits sociaux cédés lorsqu’un associé cède ses droits à un autre associé, mais une obligation propre, lorsqu’il est partie à l’opération, au mandataire social.
3. La « contagion » à la société acquéreuse si le mandataire social en est également le représentant
Il importe peu que le Mandataire Social achète les titres destinés à la revente en son nom propre ou qu’il effectue cet achat par le biais d’une société qu’il contrôle ou tout au moins qu’il dirige. L’interposition d’une personne morale ne permet en aucun cas au Mandataire Social, dés lors qu’il tire indirectement parti de l’opération puisqu’il contrôle directement ou indirectement la personne morale acheteuse-revendeuse, de s’affranchir de son obligation de loyauté décrite ci-dessus. Dans deux espèces proches, dans les faits et dans la date, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a pris deux décisions selon deux raisonnements légèrement différents mais aboutissant au même résultat, l’annulation de la première cession pour réticence dolosive du Mandataire Social.
Dans un arrêt du 12 mai 2004 (Cass. Com. N°00-15618), la Cour a considéré qu’aucune obligation de loyauté ne pesait sur la société cessionnaire (la holding du mandataire social), mais elle a considéré que la première cession devait être annulée car le Mandataire Social avait manifestement failli à son obligation de loyauté envers ses actionnaires. Dans le second arrêt daté de 2005 (Cass. Com. 14 juin 2005 N° 03-12-12.339, arrêt N° 912), la Cour parvient au même résultat mais cette fois en relevant que le représentant de la société cessionnaire, qui se trouve également être le Mandataire Social, a méconnu l’obligation d’information à laquelle il état tenu à titre personnel en tant que Mandataire Social lorsqu’il a agi comme représentant de la société cessionnaire.
4. Les sanctions pour le Mandataire Social et les conséquences indirectes pour les tiers
- L’annulation pure et simple de la première cession de droits sociaux pour dol.
C’est là la conséquence de la constations d’un dol qui affecte la première cession d’action. Le dol se déduit du fait que sans la connaissance de la seconde cession et de ses conditions, notamment de prix, le vendeur initial n’aurait pas consenti à la première cession. Il apparaît dans la jurisprudence que la nullité est souvent demandée par le vendeur initial. Cependant, les juridictions du fond sont amenées fréquemment à conclure que la conséquence de la nullité de la première cession, qui devrait être la remise en nature des parts ou actions au cédant initial contre le prix stipulé, est impossible à mettre en œuvre puisque les parts ou actions ont été re-cédées dans l’intervalle (Par exemple : Cass. Com. 14 juin 2005 N° 03-12339 et Cour d’Appel de Pau, Chambre 2, Section 1, 17 décembre 2007 N° 06/ 00521, 4771 07). En conséquence, les juges du fonds sont souvent amenés à trancher en faveur de solutions alternatives.
- Paiement de dommages intérêts égaux à la différence de prix entre la première et la seconde opération.
C’est là la solution résultant de l’application de l’Article 1234 du Code Civil que la Cour de Cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir ordonnée dans l’affaire Vilgrain où le préjudice de la victime de la réticence dolosive a été jugé égal à la différence entre la valeur de revente des titres par le Mandataire Social dans le cadre de la vente « profitable » par rapport au prix de vente de ses titres par la partie lésée dans la cadre de la vente litigieuse, multipliée par le nombre de titres vendus par ladite partie lésée.
- La perte de chance.
Il s’agit du cas où les juges du fond, recherchant si à la date à laquelle la vente initiale a été conclue, la seconde vente était en état d’être conclue sans aléa (la question principale étant alors de savoir si le second prix était fixé) pour caractériser la réticence dolosive, arrivent à une conclusion négative. Dans ce cas, ce n’est pas un préjudice fondé sur cette seconde vente que le juge cherche à réparer, mais une simple perte de chance (C. d’Appel de Paris, Chambre 3, section B, 18 décembre 2008, N°07/ 17137 après deux cassations successive sur le fondement de la non recherche de la déloyauté du Mandataire Social par les juges du fond).
- Remise au vendeur lésé la valeur des actions ou parts sociales au jour de l’acte annulé.
C’est la là solution actuellement mise en œuvre par la jurisprudence, résultant de l’application de l’Article 1234 du Code Civil, malgré les tentatives de vendeurs lésés d’obtenir des solutions alternative comme, par exemple, la réclamation du prix de la revente bénéficiaire par le Mandataire social majoré des intérêts versés par la société dans l’intervalle (Cass. Com. 14 juin 2005, N° 03-12339). Cette solution est parfois nuancée au vu de circonstances particulières de l’espèce. Ainsi la Cour de Cassation a pu approuver la Cour d’Appel, qui est certes partie d’une valeur d’indemnisation égale à la valeur des parts sociales ou jour de l’acte lésionnaire, mais a procédé au surplus à un ajustement à la baisse sur la base de l’aléa résultant de la possible mise en jeu de la garantie de passif octroyée dans l’acte en question par le cédant (Cass. Civ.1, 25 mars 2010 N° 08-13060).
Matthieu BRINGER