Action d’un photographe contre une société qui a refusé la restitution des supports de photographies dont il était l’auteur
Cour de cassation, 1re Ch. civ., 22 janvier 2020
Propriété incorporelle et propriété de l’objet matériel sont indépendantes, en vertu de l’article L.111-3 du Code de la propriété intellectuelle. Ce principe est affirmé depuis bien longtemps déjà, mais nourrit encore de nombreux litiges. Et les demandeurs fondent aussi parfois leurs prétentions sur les dispositions du Code civil et la théorie de la spécification selon laquelle lorsque la valeur de la contribution surpasse de beaucoup celle de la matière, la propriété doit être accordée à celui que le code civil désigne « l’ouvrier ».
Un photographe qui avait réalisé des reportages dans le magazine « Lui » pour une société de presse, lui reprochait la rétention des clichés dont il lui avait remis les négatifs pour leur reproduction dans le journal, et ce sans que la propriété corporelle ne lui soit cédée. Classiquement, la société revendiquait, quant à elle, la propriété des supports matériels.
Une première Cour d’appel (Versailles, 19 juin 2014) condamna la société à indemniser le photographe, estimant qu’elle ne rapportait pas la preuve de l’acquisition de supports transformés par celui-ci.
La Cour de cassation, dans son premier arrêt relatif à ce litige (28 oct. 2015), cassa l’arrêt rendu en appel au visa de l’article 544 du code civil et de l’article L. 111-3 du CPI, estimant que le financement des supports vierges et des frais techniques par la société en faisait d’elle le propriétaire originaire desdits supports.
La Cour d’appel de renvoi (Paris, 16 juin 2017), s’est conformée à cette analyse et a attribué la propriété des supports à la société pour les mêmes motifs.
De surcroît, elle jugea que, s’agissant de la théorie de la spécification, et pour que trouvent à s’appliquer les dispositions du code civil, la valeur de la main d’œuvre doit dépasser celle de la matière. Or, elle relève que le photographe, qui avait recouru au mode « rafale » et donc photographié de manière quasi-automatique, ne démontrait pas l’importance de sa contribution.
La Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 22 janvier 2020, confirme ce point, déclarant irrecevable le moyen l’appelant à revenir sur son précédent arrêt.
Par ailleurs, le photographe reprochait à la société d’avoir fait obstacle à son exploitation normale ultérieure des photos litigieuses, invoquant un abus dans l’exercice des droits de celle-ci sur le fondement des articles L.122-1 et L.111-3, alinéa 2 du CPI. En effet, il affirmait avoir été empêché dans la divulgation et l’exploitation de ses œuvres, mais également dans la réalisation d’un projet d’édition. Or, la Cour de cassation, rejetant le pourvoi le 20 janvier dernier, estime qu’il n’avait pas démontré l’existence d’un projet sérieux d’édition de photographies auquel la société aurait fait obstacle, et relève qu’il en avait la disposition et n’avait pas été empêché de jouir de son œuvre.
Le photographe avait fait paraître un ouvrage comprenant certaines des photos litigieuses, postérieurement à la cessation de leur relation, cela démontrant qu’il pouvait en disposer.
Dès lors, l’abus notoire de la société propriétaire des supports matériels dans l’exercice de son droit n’est pas caractérisé, les photos ayant notamment déjà été divulguées.
Constance Lignel-De-Santi