Une société de production avait engagé « verbalement » un technicien dans le cadre de la production d’un film. Aucun contrat de travail écrit n’avait donc été signé, mais les parties s’accordaient pour qualifier cette relation de travail de contrat à durée déterminée d’usage dans le secteur de la production cinématographique.
Suite à des difficultés rencontrées pour la signature du contrat du comédien principal, le tournage du film a finalement été annulé. Se posait alors la question de la rupture du contrat de travail du technicien, et en conséquence de la durée dudit contrat. Selon l’employeur, le contrat prenait fin à la fin de la préparation du tournage, alors que le salarié revendiquait que le terme du contrat avait été fixé à la fin du tournage.
Selon l’employeur, il serait tout d’abord d’usage dans la profession d’établir des contrats distincts pour la préparation puis pour le tournage lui-même. Il soutenait également que la date du tournage n’avait cessé d’être reportée, et que l’émission de plusieurs bulletins de salaire pour un même mois démontrait le caractère ponctuel de l’intervention du salarié. Enfin, il ajoutait que, à supposer qu’il soit retenu que le contrat avait été conclu pour une période allant jusqu’à la fin du tournage, le fait que celui-ci n’ait pu avoir lieu retirait toute cause à l’obligation de l’employeur de paiement des salaires.
Le salarié expliquait quant à lui que la société de production lui avait remis plusieurs plannings de travail précisant les dates de début et de fin de son intervention, et que son information régulière des reports du tournage démontrait l’intention de la société de le faire travailler sur le tournage. Il rappelait enfin que la mensualisation de la rémunération ne s’applique pas aux intermittents du spectacle, et que l’attestation employeur mensuelle (AEM) délivrée tous les mois ne contenait que des informations déclarées par l’employeur et ne représentait donc pas l’intention commune des parties.
La Cour d’appel de Paris a finalement considéré que l’intention commune des parties étaient de signer un contrat dont la durée s’étendait jusqu’à la fin du tournage du film, et non jusqu’à la fin de la préparation de celui-ci. Elle observe notamment que les dates renseignées par l’employeur sur les AEMs ne permettent pas de fixer le terme du contrat dès lors qu’elles sont délivrées mensuellement, peu important la durée du contrat de travail, et que la date de fin de contrat qui y est mentionnée n’est qu’une déclaration de l’employeur postérieurement à la signature du contrat. Elle ne permet donc pas de déterminer la volonté commune des parties au moment de la signature du contrat.
La Cour d’appel donne également raison au salarié sur le fait que la délivrance de plusieurs bulletins de salaires sur une période inférieure au mois ne renseigne pas sur la durée du contrat, étant donné que la mensualisation ne s’applique pas aux intermittents.
Les juges rejettent aussi le prétendu usage invoqué par l’employeur, puis s’appuient sur divers documents versés aux débats par le salarié pour déterminer la durée du contrat. Sont notamment pris en compte la liste technique du film mentionnant le salarié dans « l’équipe préparation et tournage », et les différents emails envoyés par la production au salarié relatifs aux reports des dates du tournage avant que celui-ci ne soit finalement annulé.
La Cour d’appel considère enfin que l’annulation du tournage ne fait pas disparaitre la cause du contrat, qui s’apprécie au moment de sa formation. Elle rappelle que l’employeur est dès lors tenu de fournir au salarié la prestation de travail pour laquelle il a été embauché, et de payer les salaires convenus.
En conséquence, la Cour a retenu que l’employeur était tenu de verser des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations que le salarié aurait dû percevoir jusqu’au terme de son contrat de travail.
Cet arrêt démontre ainsi les risques à prendre en compte par les sociétés de production lors de la conclusion de contrats de travail, y compris en l’absence d’écrit, avec les équipes de production, notamment en ce qui concerne la délimitation du terme du contrat.
Camille BURKHART