Caractère indivisible du pacte de préférence et des contrats d’édition ; la nullité de l’un entraine la nullité des autres et la restitution des sommes perçues
CA Paris, Pôle 5 chambre 2, 29 mars 2024, n°22/00799
La Cour de cassation a déjà eu à se prononcer sur le caractère indivisible liant les contrats de cession et d’édition d’une œuvre musicale et le pacte de préférence conclus entre l’éditeur et l’auteur.
La Cour avait ainsi jugé que la nécessité du lien de confiance unissant l’auteur à son éditeur et l’existence d’un lien intime entre le pacte de préférence et les contrats de cession et d’édition caractérisaient l’indivisibilité des conventions. Dès lors, la résiliation des contrats de cession et d’édition pour manquement de l’éditeur à ses obligations éditoriales justifiait celle du pacte de préférence (Civ. 1re, 14 oct. 2015, no 14-19.214).
Dans l’affaire examinée, les juges du fond confirment l’indivisibilité de ces conventions et jugent que la nullité du pacte de préférence entraine celle des contrats de cession et d’édition conclus en application dudit pacte nul.
En l’espèce, le pacte en cause était conclu « pour la durée nécessaire à l’écriture/composition par l’auteur de : 1 album dans le commerce venant à la suite de l’album 1 (album 2). Par la suite, l’éditeur disposera d’une option exclusive pour les œuvres constituant l’album 3 de l’auteur (« album optionnel »). On entend par « album sorti dans le commerce » un recueil d’au moins 10 œuvres, faisant l’objet d’une sortie commerciale dans les circuits normaux de distribution (physique et digital) ».
Cette référence à des albums plutôt qu’à des œuvres démontre une confusion opérée avec les contrats de production phonographique.
Les éditeurs prétendaient que les dispositions de l’article L132-4 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) avaient été conçues pour l’édition littéraire et devaient être adaptées pour l’industrie musicale, un pacte de préférence dans ce domaine ne pouvant se limiter à cinq œuvres ou chansons, le terme « ouvrage » visé à l’article L132-4 du CPI étant en outre distinct de celui d’œuvre.
Logiquement, la Cour prononce la nullité du pacte de préférence en jugeant que la notion d’« ouvrage » prévue à l’article L. 132-4 du CPI ne peut renvoyer à un album tel que défini dans le pacte, sauf à retenir une interprétation large non favorable aux intérêts de l’auteur, celui-ci s’engageant alors pour au moins une trentaine d’œuvres musicales et ce sans aucune limite dans le temps.
L’auteur formait également une demande en nullité des contrats de cession et d’édition signés le même jour que le pacte de préférence et portant sur des œuvres préexistantes. Il sera également souligné qu’en appel, l’auteur avait abandonné toute demande portant sur les œuvres de collaboration.
La Cour accueille néanmoins la demande en raison du caractère indivisible des contrats. La Cour juge que les contrats de cession et d’édition portant sur ces œuvres et les contrats de cession du droit d’adaptation audiovisuelle y afférents ont un lien intime avec le pacte de préférence car ils ont été conclus concomitamment en raison de la confiance de l’auteur dans les sociétés éditrices et sont nécessaires à la réalisation d’une même opération, l’auteur ayant conclu les contrats d’édition précités uniquement car il s’y croyait tenu en exécution du pacte de préférence. Les cessions de droits consenties en exécution du pacte de préférence nul sont considérées comme dépourvues de cause et sont jugées nulles.
En l’espèce, l’on peut s’interroger sur la solution rendue alors que les contrats d’édition portaient sur des œuvres préexistantes et avaient été signés concomitamment, mais non en vertu du pacte de préférence, de telle sorte que l’exécution des contrats d’édition n’était pas liée de manière évidente à l’existence du pacte.
La nullité des contrats entrainant leur anéantissement, la Cour prononce la restitution des sommes perçues par les sociétés éditrices. La Cour relève que les sociétés éditrices ont d’ores et déjà récupéré auprès de la SACEM l’avance consentie à l’auteur. Les éditeurs sont donc condamnés à restituer à l’auteur les recettes qu’elles ont perçues de la SACEM au titre de la reproduction mécanique et de l’exécution publique des œuvres ainsi que des sommes perçues au titre de l’exploitation secondaire des œuvres dans un film cinématographique, avec intérêt au taux légal à compter de la date de l’assignation pour les recettes perçues avant cette date, et à compter du paiement de ces sommes pour celles perçues postérieurement à l’acte introductif d’instance.