Cession forcée d’actions en application d’une clause de bad leaver suite au départ d’un actionnaire salarié : une « bénédiction » rassurante
Une clause de « bad leaver » d’un pacte d’actionnaires selon laquelle un associé également salarié doit céder ses actions en cas de cessation de son contrat de travail doit s’appliquer sans attendre l’issue du litige prud’homal et n’est pas répréhensible sous l’angle de la potestativité.
M. T. fut engagé comme directeur associé d’une SAS (47% des actions) avec la qualification de cadre de direction sur la base d’un contrat à durée indéterminée.
Le pacte conclu entre les 4 associés salariés prévoyait que « la qualité d’actionnaire de la société est fondamentalement liée aux fonctions salariales exercées au sein de la société » et qu’« en cas de cessation desdites fonctions salariales pour licenciement, démission, prise d’acte de rupture ou départ à la retraite, l’associé s’engage irrévocablement à céder aux actionnaires fondateurs de la société la totalité des titres qu’il détiendra au sein de la société selon un prix fixé à la situation nette comptable telle qu’approuvée pour l’exercice social N-1 par rapport à l’exercice de cession avec un prix minimum d’un euro par titre en cas de situation nette négative ».
Suite à une mésentente entre les associés fondateurs sur la rémunération de M. T (lors d’une AG, M. T tenta de bloquer son licenciement qui devait être autorisé par le Président), la nullité de son contrat de travail fut soulevée (fondée sur un défaut de délibération sur sa rémunération), ceci remettant donc en cause sa détention d’actions.
L’associé exclu disposait statutairement d’un droit de veto sur son propre licenciement et donc sur son exclusion, qui ne pouvaient être décidés qu’à la majorité des deux tiers des associés. Mais les autres associés arguèrent d’un vice rendant nul le contrat de travail, pour défaut de délibération sur sa rémunération. Cet argument permettait de contourner le veto sur le licenciement.
Les associés restants demandèrent donc le rachat immédiat de ses actions parallèlement au contentieux prud’homal.
Le tribunal de commerce puis la cour d’appel de Paris reconnaissent la validité de la cession forcée.
Les clauses de good/bad leaver sont courantes lorsque l’intuitu personae des associés prédomine, tant dans les sociétés commerciales classiques que dans celles regroupant, comme en l’espèce, des professionnels. La maîtrise du capital est fondamentale dans ce type de situation et il est légitime de vouloir sortir de la communauté des associés ceux d’entre eux pour lesquels le contrat de travail ou le mandat social a constitué la condition essentielle et déterminante de l’accès au capital.
Dans ce type de situation, il semble opportun que soit écartée toute considération liée à la validité du licenciement : le fait qu’une instance prud’homale soit pendante doit rester neutre et son issue ne peut avoir de conséquences sur l’obligation de cession des titres. La solution était corroborée en l’espèce par le fait que l’ancien salarié ne prétendait pas à sa réintégration.
La Cour a rejeté ici l’argument de la potestativité : la condition ne repose pas entre les mains du salarié associé qui s’oblige, ici en tant que promettant. La réalisation de la condition (le licenciement) dépend en réalité de la société, qui est tiers (quoique dans certains cas, c’est le majoritaire qui bénéficie de la cession et il a donc un intérêt indirect).
L’apport de cet arrêt est donc de confirmer que le mécanisme de cession forcée en cas de départ est valide en soi. Le fait que la société concernée soit une SAS a en outre permis d’éviter l’expertise judiciaire de l’article 1843-4 du Code civil.
En conclusion, compte-tenu des valorisations de titres différentes selon les types de départ et le moment où le départ intervient, on ne saurait trop conseiller de décrire le plus soigneusement possible les cas de départ et le calendrier applicable entrainant le déclenchement des promesses de vente ou d’achat : démission, maladie / invalidité, départ en retraite, révocation ou licenciement (pour tel ou tel motif) etc.
Rappelons également le principe général selon lequel pour les mandataires sociaux, les clauses de rachat ne doivent pas porter atteinte au principe de libre révocation des dirigeants.
Pour un autre exemple où le pacte prévoyait la sortie des actionnaires salariés en cas de perte de la qualité de salarié en prévoyant une promesse de vente (voir CA Paris 18 octobre 2005).
Guillaume LECLAIR