La loi du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée est une bonne illustration de l’interaction entre l’autorité judiciaire et le pouvoir législatif.
Ces dernières années ont vu le statut de la rémunération pour copie privée remis en question par des décisions des magistrats français (judiciaires et administratifs) et européens. Cette nouvelle loi, courte et précise, réforme le régime législatif de la rémunération pour copie privée en intégrant principalement quatre enseignements prétoriens.
• Le montant de la rémunération pour copie privée ne doit prendre en considération que les sources licites de copies.
La loi insère la notion de « source licite » dans la définition de la copie privée. L’exception de copie privée (L.311-1 CPI) n’est ainsi admise en droit d’auteur (L.122-5 CPI) et en matière de droits voisins (L.211-3 CPI) que dès lors que la reproduction est réalisée à partir d’un exemplaire licite de l’œuvre ou de l’enregistrement.
Ceci signifie que les statistiques (sur les nombres de copies) prises en considération pour calculer le montant de la rémunération, ne doivent pas inclure les supports utilisés pour effectuer des copies dont la source est contrefaisante, ce qui revient à diminuer le montant de la rémunération pour copie privée.
Ce raisonnement tenu par le Conseil d’État le 11 juillet 2008 et le 17 décembre 2010 avait abouti à annuler des décisions de la Commission copie privée dont les tarifs avaient été calculés selon des méthodes jugées non conformes aux dispositions législatives.
Le silence de la loi avait suscité des débats doctrinaux depuis les débats sur la loi DADVSI. La clarification législative, provoquée par la jurisprudence, était donc utile.
• Redéfinition des éléments de calcul de la rémunération pour copie privée.
Les « tarifs » de la rémunération pour copie privée pour chaque type de support d’enregistrement, sont déterminés par la Commission copie privée par voie de décision administrative, à l’issue de débats entre ses membres qui représentent les différents acteurs du secteur : fabricants et importateurs, titulaires de droits et consommateurs.
Pour prendre en considération l’évolution des supports d’enregistrement et notamment numériques, ainsi que leur polyvalence, il est désormais prévu que le montant de la rémunération est non seulement fonction du « type » et de la « durée » d’enregistrement que permet le support, mais également de sa « capacité » d’enregistrement. Par surcroît, le montant doit également dépendre de « de l’usage de chaque type de support », qui est notamment apprécié sur le fondement d’enquêtes.
En pratique, la Commission copie privée établissait déjà depuis de nombreuses années des tarifications pour les supports numériques en fonction de leur capacité de stockage et de leur versatilité (e.g. supports dédiés ou hybrides). Il ne s’agit donc ici pour le législateur que d’ajuster la loi à la pratique.
• L’information du consommateur.
Un nouvel article L.311-4-1 prévoit désormais que le montant de la rémunération pour copie privée propre à chaque support doit être porté à la connaissance de l’acquéreur. La loi prévoit qu’une notice explicative doit également être jointe ou intégrée au support de façon dématérialisée.
L’on peut sans doute lier cette réforme aux procédures intentées à l’encontre de cybercommerçants étrangers qui vendaient à des consommateurs français des supports vierges à moindre prix, puisqu’ils n’intégraient pas la rémunération pour copie privée. Or, le consommateur était juridiquement l’importateur de ce support en France et était donc celui qui était redevable de la rémunération pour copie privée, ce mécanisme étant toutefois largement inconnu du grand public (le consommateur ne procédant d’ailleurs jamais aux démarches nécessaires auprès de Copie France).
La Cour de cassation avait jugé en 2008 que l’absence d’information du consommateur par le site sur l’assujettissement à la rémunération pour copie privée constituait un acte de concurrence déloyale à l’égard des sociétés françaises concurrentes.
En pratique, le prix de la rémunération pour copie privée est payé à Copie France par le fabricant ou l’importateur qui met le support en circulation pour la première fois en France, et ce prix est ensuite répercuté à chaque maillon suivant de la chaîne de commercialisation, jusqu’au consommateur final (débiteur de la rémunération puisque la copie privée est réalisée par lui).
Désormais, le consommateur devra être expressément informé du prix de la rémunération pour copie privée incluse dans le prix d’achat du support vierge. Un décret en Conseil d’Etat est annoncé pour définir les conditions d’application de cette obligation.
• La rémunération pour copie privée n’est pas due sur les supports acquis à des fins professionnelles.
Pour les professionnels qui achètent des supports pour leur propre usage ou production (entreprises de communication audiovisuelle, producteurs, éditeurs numériques, etc.), la loi prévoyait une exonération au profit de ces derniers, puisque les supports vierges qu’ils acquièrent n’ont à l’évidence pas pour objet de permettre des copies à usage privé, mais de reproduire (licitement) des œuvres à usage public. En pratique, cette exonération prenait la forme d’un paiement de la rémunération pour copie privée suivi d’un remboursement par la société de gestion collective ; le principe est désormais que cette rémunération n’a pas à être versée.
Ce principe de non-assujettissement est désormais étendu (et également prévu sous forme d’exonération ab initio) « pour les supports d’enregistrements acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée ». Il est donc prévu qu’une convention d’exonération peut être conclue avec Copie France; à défaut le principe redevient celui d’un remboursement sur justificatifs.
La rémunération pour copie privée ne devrait en effet être perçue que sur des supports qui seront utilisés pour « des copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ». Or, ce n’est pas le cas, ainsi que l’avait jugé la Cour de justice dans son arrêt Padawan du 21 octobre 2010 puis le Conseil d’État le 17 juin 2011, des supports acquis « à des fins professionnelles », c’est-à-dire destinés à être utilisés par les employés d’une entreprise dans le cadre de leur activité professionnelle.
Philippe ALLAEYS