CA Paris, pôle 5, ch. 11, 26 juin 2015
Dans le cadre de la production d’un film de long métrage, coproduit par deux sociétés de production déléguée, un coproducteur avait accepté d’effectuer deux types d’apports en financement. Sur la base d’un budget total annoncé d’environ 10,8 millions d’euros, il versait un apport en coproduction de 425.000 euros ainsi qu’un apport en minimum garanti sur les distributions salles, vidéo et à l’international, de 1.275.000 euros.
Les deux producteurs délégués s’étaient, quant à eux, engagés à verser un apport en coproduction de plus de 4 millions d’euros, ce montant incluant le crédit d’impôt, le soutien et la mise en participation de frais généraux, du salaire producteur et des imprévus.
Un conflit est cependant survenu par la suite entre le coproducteur, d’une part, et les deux producteurs délégués, d’autre part, notamment en raison de la modification du budget de production et de l’apport en coproduction des producteurs délégués.
En effet, le montant du devis annoncé à l’investisseur lors de la signature du contrat a finalement été diminué par les producteurs délégués en cours de production d’environ 30%, passant ainsi d’un budget de 10,8 à un coût réel de 7,5 millions d’euros environ.
Ces derniers avaient également modifié le montant de leur propre apport en coproduction, passant d’environ 4 millions d’euros à un peu moins de 450 000 euros, sans recueillir au préalable l’accord de leur cocontractant.
Or le contrat signé entre les trois parties stipulait expressément que le devis et le plan de financement ne pouvaient être modifiés sans avoir obtenu l’accord de tous les cocontractants.
Les juges ont donc estimé que la modification du montant total du budget et du plan de financement, sans avoir obtenu l’accord de leur cocontractant, constituait un manquement contractuel.
La cour d’appel a relevé, par ailleurs, que la possibilité qui était offerte aux producteurs délégués, selon les stipulations du contrat, de prendre toute décision relative à la réalisation du film « au mieux des intérêts communs » ne pouvait être invoquée en défense. Les agissements allégués avaient en effet été effectués dans le seul intérêt propre des producteurs délégués.
Sur la base de ces deux violations contractuelles, les producteurs délégués ont donc été condamnés à verser 300 000 € de dommages et intérêts au coproducteur. La cour a considéré qu’en s’abstenant de solliciter l’accord de l’investisseur sur la modification du budget et du plan de financement, les défendeurs lui avaient fait perdre une chance sérieuse de pouvoir modifier son investissement global de 1,7 millions d’euros au vu de l’estimation du risque qu’il prenait et des profits potentiels qu’il pouvait escompter.
Il est enfin intéressant de relever que l’un des producteurs délégués évoquait en défense que « l’écart entre le devis d’un film et son coût est une pratique habituelle non ignorée par [le coproducteur] en sa qualité de professionnel de l’activité cinématographique ». Une étude du CNC avait été versée aux débats, et faisait ressortir qu’entre 2004 et 2011 le coût définitif des films présenté pour l’obtention de l’agrément de production était en moyenne inférieur d’environ 8-9% au devis initialement soumis au CNC avant tournage.
L’argument a été rejeté au motif que la différence entre le devis et le coût réel était en l’espèce de 30%, ce que les magistrats ont jugé d’ « à tout le moins inhabituel » et « bien au-delà de la norme ».
Camille BURKHART
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Ayant eu connaissance d’une campagne publicitaire nationale visant à faire la promotion des chaussures de la marque KICKERS et reprenant, au sein de ses visuels, les termes « FOREVER YOUNG », il a assigné le distributeur des produits KICKERS en France.
Ses demandes ayant été rejetées par le tribunal de grande instance de Rennes, la société BRUNO SAINT HILAIRE, a formé appel de la décision et la Cour d’appel de Rennes, saisie du litige, permet ainsi d’enrichir la jurisprudence déjà fournie sur la protection des slogans publicitaires par le droit des marques.
La validité des dépôts de slogans à titre de marque a parfois été contestée, en raison de leur nature évocatrice. Malgré cela, les tribunaux sont souvent réticents à considérer qu’un slogan ne peut, per se, être déposé en tant que marque, l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle listant parmi les signes pouvant être déposés en tant que marque les « dénominations sous toutes les formes » dont notamment les « assemblages de mots ».
Cependant, même déposé, il peut souvent s’avérer difficile pour les titulaires de ces marques d’obtenir une protection sur le fondement du droit des marques, comme l’illustre notamment cet arrêt.
En l’espèce, si la validité du dépôt en tant que marque du signe n’était pas contestée ici, le litige portait sur la réalité de l’usage.
L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle énonce en effet qu’ « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans juste motif, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».
La société BRUNO SAINT HILAIRE, à qui était opposée l’absence d’usage sérieux du signe , avait soutenu qu’elle utilisait sa marque, en produisant des « photographies de 4 personnes portants des vêtements et chaussures avec la mention Forever Y au-dessus de la marque Saint Hilaire », ou encore « la présentation d’un homme habillé sur un solex devant un panneau où figure les mêmes éléments et alors qu’il constitue un stand publicitaire (…) ». Elle reconnaissait néanmoins que ce signe était utilisé comme concept, ce qu’indiquait d’ailleurs son site : « Forever Y, c’est tout un état d’esprit… avoir confiance en soi, se sentir bien et libre, oser passer à l’acte… être Forever Y ».
La Cour d’appel de Rennes a estimé que le signe n’était dès lors pas utilisé dans une fonction d’identification de l’origine des produits, et a prononcé la déchéance de la marque à compter du 1er décembre 2013.
Si la contrefaçon n’était pour autant pas de facto écartée à ce stade, les actes argués de contrefaçon datant de septembre 2010, la contestation de l’usage effectif à titre de marque a s’est avérée efficace.
La Cour d’appel note que le signe FOREVER YOUNG avait été utilisé « dans le cadre des 40 ans de la marque KICKERS », « au sein d’une phrase écrite en langue anglaise, traduite ensuite en langue française », de manière descriptive « de la marque KICKERS éternellement jeune ». Elle estime, par conséquent et de manière plutôt cohérente avec la déchéance prononcée, que là aussi, ces mots étaient utilisés à titre d’expression courante et non à titre de marque. Aucun usage du signe à titre de marque n’ayant été réalisé antérieurement au 1er décembre 2013, la demande sur le fondement de la contrefaçon a par conséquent été rejetée.
Sur les demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale, la Cour confirme également le jugement, en estimant que la société BRUNO SAINT HILAIRE ne justifiait pas d’investissement ou de travail particulier pour développer le « concept » FOREVER YOUNG, dont la « valeur économique individualisée » n’était, selon la Cour, pas démontrée.
Antoine JACQUEMART