Confirmation en cassation de la licéité d’un site de télévision de rattrapage
Différentes sociétés du groupe M6 avaient agi à l’encontre de la société SBDS, éditrice d’un site internet proposant un répertoire de programmes disponibles sur les sites des diffuseurs en vidéo à la demande (VaD), parmi lesquels les chaînes M6 et W9. Déboutées de leurs demandes en première instance] puis en appel aux termes d’un arrêt très motivé [Voir Netcom Juin 2011], les demanderesses avaient formé un pourvoi, lequel a été rejeté par la Cour de Cassation.
A titre de rappel, les sociétés du groupe M6 arguaient du fait que le site litigieux portait atteinte « à leurs droits en donnant aux internautes de ce site un accès direct aux programmes des sociétés du groupe M6 sans être préalablement dirigés vers les pages d’accueil des sites [du groupe] et en permettant à des personnes tierces qui exploitent leurs propres sites de donner à leurs utilisateurs un accès direct à ces programmes ».
Quatre fondements principaux étaient invoqués à l’appui de leurs demandes.
(1) Violation des CGU : les sociétés du groupe M6 arguaient que la mise en place des hyperliens sur le site de SBDS était contraire aux conditions générales d’utilisation (CGU) des sites M6 et W9 et invoquaient, à ce titre, une violation contractuelle de la part de la société SDBS.
Néanmoins, la Cour de cassation s’est inscrite dans la lignée de la position de la Cour d’appel en indiquant que la simple mise en ligne des CGU (dont l’accessibilité avait par ailleurs été mise en cause par la Cour d’appel) « ne suffit pas à mettre à la charge des utilisateurs des services proposés une obligation de nature contractuelle ».
Dans notre précédent commentaire, nous émettions des réserves sur la portée de la décision de la Cour d’Appel sur ce point, celle-ci ayant en effet considéré que les CGU n’étaient pas applicables à la société SDBS, cette dernière ne s’étant pas comportée comme un internaute « cherchant à revoir un programme précédemment diffusé sur M6 ou W9 ».
Or, la motivation très générale adoptée par la Cour de cassation semble imposer une acceptation expresse et préalable des CGU afin que celles-ci puissent être opposées à tout utilisateur. Si cette motivation peut sembler à première vue cohérente avec le principe selon lequel « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » (article 1134 du code civil), une telle position, lourde de conséquences en pratique, parait peu adaptée à la navigation sur internet.
(2) Rejet de l’atteinte aux droits exclusifs de reproduction des œuvres diffusées sur les sites de rattrapage du groupe M6 : dans le cadre de la procédure d’appel, les sociétés du groupe M6 avaient indiqué qu’il aurait été « absurde » d’exiger de leur part une identification de l’ensemble des programmes mis en ligne sur leurs sites compte tenu de leur nombre trop important.
Néanmoins, la Cour de Cassation a suivi la position de la Cour d’appel selon laquelle les demanderesses, en s’abstenant d’identifier précisément les programmes fondant leurs prétentions, n’apportaient pas la démonstration des droits effectivement détenus par elles sur chacun des programmes que la société SDBS rendait accessibles sur son site.
(3) Rejet de l’atteinte aux droits du groupe M6 en qualité de producteur de base de données : dans le cadre des débats en appel, la société M6 Web avait cherché à démontrer qu’elle avait procédé à des investissements substantiels dans le cadre de la constitution, la vérification ou la présentation du contenu de sa base de données en communiquant différentes attestations, dont deux émanant (i) d’une part, du directeur administratif et financier adjoint de la société Métropole Télévision, faisant état du montant des investissements relatifs à la création et à l’entretien des services concernés et (ii) d’autre part, du directeur général, récapitulant les salaires versés aux personnes chargées de la constitution et de la mise à jour de la base.
La Cour d’appel avait néanmoins considéré que ces éléments étaient insuffisants pour démontrer l’existence des investissements invoqués, ce que la Cour de cassation a confirmé en rejetant le moyen.
(4) Contournement du processus normal de navigation : enfin, les demanderesses arguaient d’actes de concurrence déloyale et de parasitisme, indiquant que la pratique en cause avait pour conséquence de contourner le processus normal de navigation.
Néanmoins, la Cour de cassation a considéré que la cour d’appel avait légalement justifié sa décision en indiquant que ce grief n’était pas démontré en l’espèce. Rappelons que la Cour d’appel avait considéré qu’il n’était pas justifié d’un tel contournement dès lors que l’utilisateur du site litigieux était redirigé vers le site des appelantes pour visualiser la vidéo sélectionnée, la fenêtre de visualisation permettant, en outre, d’accéder aux autres rubriques des sites des sociétés demanderesses.
Enfin, la Cour de cassation a également confirmé la décision rendue en appel relative aux demandes reconventionnelles de la société SDBS fondées sur (i) la rupture brutale des relations commerciales entre les parties et (ii) sur le dénigrement qu’elle indiquait avoir subi du fait de l’envoi par M6 Web d’une « note aux termes de laquelle le site tv replay est décrit comme étant un site Internet qui redirige vers les sites des catch-up TV en utilisant, souvent sans l’accord des chaînes, les informations autour des programmes », une telle note « [laissant] planer un doute sur la légalité de l’activité de la société SBDS et [témoignant] d’une intention dénigrante ».
Cette affaire présente donc un intérêt certain en ce qu’elle confirme la difficulté pour des titulaires de droits de s’opposer à l’accès à leurs contenus via des hyperliens proposés sur des sites de tiers.
Les arrêts rendus par la cour d’appel et la cour de cassation rappellent également que les titulaires de droits prennent un risque important lorsqu’ils s’abstiennent d’identifier précisément dans le cadre de leur action les œuvres sur lesquelles ils prétendent revendiquer des droits exclusifs.
Olivier HAYAT