Les trois sociétés ont alors estimé que certains paiements effectués à COPIE FRANCE, fondés sur les deux décisions annulées, étaient rétroactivement indus. En conséquence, elles ont demandé à COPIE FRANCE le remboursement pur et simple de toutes ces sommes, soit selon elles, un peu plus de 58 millions d’euros.
Dans les trois affaires, le Tribunal de grande instance de Paris a commencé par rectifier le critère de rattachement entre les paiements effectués et les décisions annulées : il ne faut pas prendre en compte la date des factures adressées par COPIE FRANCE, mais la date de mise en circulation des supports. En conséquence, il est en fait apparu que seule une partie des paiements litigieux avait été fondée sur les décisions n° 11 et 13, l’autre partie étant rattachable à des décisions antérieures.
Les demandeurs, qui avaient prévu cette éventualité, ont alors contesté ces anciennes décisions. S’agissant tout d’abord des décisions n° 1, 4 et 6 : ils ont invoqué le fait qu’elles ne pouvaient pas leur être appliquées, car elles étaient contraires à la directive 2001/29, pour les mêmes raisons ayant fondé l’annulation des décisions n° 11 et 13. Or, le Tribunal de grande instance de Paris a rappelé que les directives ne peuvent avoir d’effet horizontal direct dans un litige entre particuliers. Dès lors, ces décisions étaient pleinement applicables et les paiements correspondants ne pouvaient pas être indus. S’agissant ensuite des décisions n° 7 et 8, ces décisions avaient également été annulées par le Conseil d’Etat.
Cependant, ces annulations n’ont été prononcées que pour l’avenir, sauf si une procédure avait été engagée avant la date de leur prononcé. En l’espèce, les demandeurs ayant à chaque fois assigné COPIE FRANCE postérieurement à ces décisions, elles ont toutes les trois été reconnues applicables.
Ne restaient donc à examiner que les factures litigieuses fondées sur les décisions n° 11
et 13. Le Tribunal de grande instance de Paris a reconnu dans les trois espèces que les demandeurs pouvaient se prévaloir de leur annulation, car les procédures avaient été intentées avant les décisions du Conseil d’Etat.
Cependant, COPIE FRANCE a soutenu que l’annulation de ces deux décisions ne signifiait pas pour autant qu’aucune rémunération pour copie privée n’était due en raison de la mise en circulation des supports concernés. Le Tribunal de grande instance de Paris a retenu cet argument, trouvant son fondement dans l’article L.311-1 du Code de la propriété intellectuelle, s’imposant à tous et « en particulier au juge judiciaire », qui élève à titre de principe le droit pour les auteurs, artistes-interprètes et producteurs à une rémunération au titre de la reproduction privée. Dès lors, ce droit à compensation survit à la simple invalidation d’une décision règlementaire qui en fixe les modalités pratiques.
Les paiements effectués par les demandeurs et calculés selon les barèmes des décisions n° 11 et 13 n’étaient donc pas dénués de fondement juridique ni complètement indus. En revanche, le Tribunal de grande instance de Paris a tenu compte du fait que les montants facturés par COPIE FRANCE n’avaient pas, à tort, tenu compte de l’impossibilité de demander une rémunération pour copie privée au titre des utilisations des supports à titre professionnel.
Afin de fixer l’indemnité due en raison de ce trop payé – les demandeurs ayant reconnu l’impossibilité pour eux de déterminer en pratique la part des supports concernés n’ayant pas servi à des usages privés – les juges ont reconnu que les barèmes fixés par les décisions n° 14 et 15, adoptées en raison de l’annulation des décisions précédentes, pouvaient constituer des références utiles.
En conséquence, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné COPIE FRANCE à rembourser à AUCHAN la somme de 650 000 euros, à CARREFOUR IMPORT la somme de 230 000 euros et enfin à CARREFOUR HYPERMARCHES la somme de 200 000 euros. A première vue, les juges n’ont fait qu’évaluer le montant indû qui devait être remboursé aux trois demanderesses. En creux, le Tribunal de grande instance de Paris a en réalité procédé lui-même à une fixation de la rémunération pour copie privée due au titre des supports mis en circulation pendant la période où il n’existait plus de barème.
Sylvain NAILLAT