Cass. Com., 17 janvier 2018
L’action est engagée par une société propriétaire de diverses marques françaises constituées d’une expression rédigée en langue chinoise.
En 2009, deux particuliers ont déposé une marque française également constituée d’une expression rédigée en langue chinoise. La société les a assignés en nullité de ce dépôt, en contrefaçon de marques et en concurrence déloyale. Les deux particuliers ont alors reconventionnellement agi en revendication et en nullité des marques fondant les demandes en contrefaçon.
La Cour d’appel de Paris a accueilli les demandes de la société, condamnant les deux défendeurs au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon. Les deux particuliers se sont pourvusen cassation.
Les demandeurs, au soutien de leur pourvoi, ont notamment invoqué l’exception de motif légitime de détention, arguant que « l’usage d’une marque française par un tiers uniquement pour procéder à la première mise sur le marché de ses produits revêtus du signe incriminé dans un pays où il dispose de ce droit procède d’un motif légitime ». Il était dès lors reproché à la Cour d’appel d’avoir violé l’article L713-2 du code de la propriété intellectuelle en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la détention des objets contrefaisants ne procédait pas d’un motif légitime des lors que les produits étaient destinés à une exportation vers la Chine où ils disposaient d’un droit de marque sur le signe litigieux.
La Cour rejette le pourvoi. Dans un premier temps, la Cour rappelle qu’en vertu des
articles L. 713-2 et L. 716-10 du code de la propriété intellectuelle, il est interdit, sauf autorisation du propriétaire, de reproduire une marque pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement et d’exporter des marchandises présentées sous une marque contrefaisante.
Dans un second temps, la Cour de cassation rappelle qu’en interprétant ces articles, elle a dégagé une exception de motif légitime de détention (Cass. Com. 10 Juillet 2007, n°05 18.517). Cette exception était soumise au respect de deux conditions :
– les produits sont destinés à l’exportation vers des pays tiers dans lesquels ils sont licitement commercialisés ;
– Il ne doit pas y avoir de risque que ces marchandises puissent être initialement commercialisées en France (simple usage du signe litigieux pour exercer un droit exclusif portant sur la première mise sur le marché).
Cependant, la Cour relève que le droit de l’Union européenne, à travers plusieurs directives (notamment l’article 5, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du
21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques) prévoit une harmonisation complète en définissant le droit exclusif dont jouissent les titulaires de marques dans l’Union.
La Cour retient que son ancienne jurisprudence ne fait donc pas une application correcte de ce principe d’harmonisation du fait de l’absence d’une telle exception dans les dispositions européenne. De facto, le refus de constater la contrefaçon en pareil cas ne peut être maintenu et la Cour de cassation confirme l’appréciation de la Cour d’appel en ce qu’elle a considéré que la contrefaçon était constituée alors même que les produits en cause étaient destinés à l’exportation vers la Chine.
Par ce revirement mettant fin à l’exception de motif légitime de détention, la Cour de cassation a mis sa jurisprudence en conformité avec la législation européenne en matière de marque.