En matière de contrefaçon de droits de propriété intellectuelle, la Cour d’appel rejette la question prioritaire de constitutionalité portant sur l’application de l’article 31 alinéa 2 de la loi n°91-658 du 9 juillet 1991 instituant un régime de responsabilité sans faute à l’encontre de la partie qui met en œuvre l’exécution provisoire.
L’arrêt de la Cour d’appel du 6 juillet 2012 fait suite à la décision du Tribunal de Grande Instance de Paris du 27 janvier 2012 sur la responsabilité sans faute du titulaire de droits sur sur un brevet européen, ayant obtenu et fait exécuter des mesures provisoires à l’encontre d’un présumé contrefacteur, avant l’annulation de son titre. Sur le fondement de l’article 31 de la loi du 9 juillet 1981, le Tribunal avait condamné le demandeur a réparer le préjudice subi par la présumé contrefacteur du fait de l’exécution de mesures provisoires prononcées avant l’annulation du titre [Voir article Netcom Juin 2012].
Ce litige oppose le licencié exclusif d’un brevet européen sur un composé pharmaceutique, à la société ayant développé un générique de ce médicament.
Après une tentative infructueuse en première instance, le licencié du brevet soumet à la Cour d’Appel une question prioritaire de constitutionalité. Il fait notamment valoir que les dispositions instituant un régime de responsabilité sans faute à l’encontre de celui qui fait exécuter des mesures provisoires, sur le fondement d’un brevet ultérieurement annulé, porteraient atteinte :
1) A l’égalité de traitement entre les justiciables, le titulaire de droits étant dès lors soumis à davantage de contraintes dans la mesure où il doit démontrer la contrefaçon tandis que le défendeur bénéficie du régime de responsabilité sans faute qu’il peut invoquer à l’encontre du titulaire de droits,
2) Au droit d’accès au juge, les dispositions en cause faisant peser une sanction lourde, en l’absence de faute, alors que l’exercice du droit de propriété intellectuelle est légitime,
3) Au droit de propriété intellectuelle, les dispositions litigieuses étant de nature à dissuader le titulaire de droit de défendre son titre.
Si la Cour reconnaît que la disposition contestée est applicable au litige et qu’elle n’a pas d’ores et déjà été déclarée conforme à la Constitution (deux des trois conditions à la recevabilité de la QPC étant remplies), elle va en revanche rejeter son caractère sérieux.
La Cour rappelle tout d’abord que la disposition contestée dans sa rédaction actuelle est issue des accords de l’OMC sur les aspects de propriété intellectuelle (accords ADPIC) ratifiés par la France. L’article 50 Point 7 des accords prévoit que lorsqu’il est constaté après l’exécution de mesures provisoires qu’il n’y a pas eu atteinte à un droit de propriété intellectuelle, le juge est habilité à ordonner au demandeur de réparer le préjudice causé par ces mesures.
Cette disposition a été reprise à l’identique par l’article 9 point 7 de la Directive 2004/48 CE, elle-même retranscrite à l’article L.615-3 du Code de la propriété intellectuelle précisant que l’exécution des mesures provisoires peut être subordonnée à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du défendeur si l’action en contrefaçon est jugée non fondée a posteriori.
La Cour considère que cette possibilité d’indemnisation doit être également ouverte aux défendeurs qui n’auraient pas demandé ou obtenu cette garantie car l’inverse constituerait une atteinte à l’égalité entre les justiciables (justement invoquée par le licencié). Ainsi, l’article L.615-3 du Code de la propriété intellectuelle et l’article 31 de la loi du 9 juillet 1991 sont tout à fait conciliables selon l’analyse de la Cour.
La Cour rappelle également que si le titre permet au titulaire de droit d’agir en référé, il n’en reste pas moins que l’exécution d’une décision à titre provisoire a toujours lieu aux risques et périls de celui qui la poursuit. Ainsi, il n’y a pas rupture d’égalité devant la justice, dans la mesure où la réparation du préjudice subi par le présumé contrefacteur, même en l’absence de faute du demandeur à l’action, n’est qu’une contrepartie des dispositions permettant l’exécution de mesures provisoires.
Le demandeur soutenait également que les dispositions en cause institueraient une présomption de faute du demandeur en cas d’exécution provisoire menée à tort, alors que c’est à lui de rapporter la preuve de la faute du défendeur dans l’action au fond, créant ainsi un déséquilibre injustifié. La Cour rejette ces arguments : en effet, le brevet bénéficie d’une présomption de validité tant que le défendeur n’aura pas démontré qu’il n’est pas valide. Ainsi, chaque partie à l’action a la charge d’une preuve : celle de la contrefaçon pour le demandeur ou celle de l’absence de validité du titre pour le défendeur. En réalité, le défendeur n’est dispensé de prouver la faute du titulaire de droits qu’en compensation des prérogatives exceptionnelles octroyées au titulaire de droit en matière d’exécution provisoire.
Par ailleurs, la Cour indique que le titulaire de droit n’est pas privé de son droit d’accès au juge, ni limité dans ses prérogatives, dans la mesure où il peut toujours agir au fond en contrefaçon et obtenir réparation de son préjudice sans recourir aux mesures provisoires.
C’est au demandeur de s’assurer, lorsqu’il invoque l’article L.615-3 du Code de Propriété Intellectuelle (ou ses équivalents pour les autres droits de propriété intellectuelle) que son titre est valable et que les actes de contrefaçons sont réels. Ce n’est pas au défendeur à l’action de supporter les conséquences du risque pris par le demandeur si celui-ci n’était finalement pas fondé dans ses demandes.
Par conséquent, la Cour conclut que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le licencié est dépourvue de sérieux. Une autre décision de la Cour d’appel de Paris suivra certainement sur le fond de l’affaire.
Anne Sophie LABORDE