Le 4 juillet 2013, dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de Cassation, la Cour d’Appel de Paris annule pour absence de cause une convention de prestations de direction conclue entre deux sociétés car faisant double emploi avec les fonctions du directeur général de la SAS bénéficiaire des prestations.
Nouvel épisode d’une série de décisions rendues en 2010[1] et 2012[2] dans des contextes similaires : deux sociétés, non liées mais dont le dirigeant est commun, concluent une convention en vertu de laquelle la première fournit à la seconde, contre rémunération, diverses prestations de direction, plus ou moins largement définies. Quelques temps plus tard, la société bénéficiaire des prestations révoque son dirigeant ; presque simultanément, et donc sans préavis, elle résilie la convention de prestations de direction et refuse de payer l’indemnité de résiliation que lui réclame la société prestataire. S’ensuit un contentieux au terme duquel les juges déboutent la société prestataire de sa demande indemnitaire en raison de la nullité de la convention pour absence de cause.
Le raisonnement suit la logique suivante : la convention ne peut faire bénéficier la seconde société de prestations qui doivent être assurées par le directeur général de cette société au titre de ce mandat. Une telle convention est donc dénuée de cause, condition rendue essentielle par l’article 1131 du Code Civil pour la validité des conventions, et doit en conséquence être annulée. La convention étant nulle, elle ne peut donc fonder quelque demande indemnitaire que ce soit et cette nullité doit par ailleurs donner lieu à restitution des sommes perçues en exécution de cette convention.
Dans l’espèce du 4 juillet 2013, la convention avait pour objet diverses prestations de conseils dans les domaines du management, de la stratégie de développement et de croissance externe, de la comptabilité et de la gestion financière, du management des opérations, du système d’information, « ceci afin de permettre [à la société bénéficiaire] de réaliser son objet social dans les meilleures conditions ».
Plus précisément, indique l’arrêt, la convention mettait à la charge de la société prestataire des « prestations d’analyse de marché, de management et de gestion », notamment de « favoriser l’atteinte des objectifs stratégiques [de la société bénéficiaire] tout en réduisant les risques susceptibles d’y faire obstacle, d’ analyser les données financières et commerciales en y apportant une vision stratégique, de détecter les sources de profit et de dérapage », ainsi que des « prestations de gestion de la trésorerie et du financement, de travaux de contrôle de gestion, de participation à l’intégration des nouvelles acquisitions de la société et/ou de ses filiales, d’assurer les relations avec les prestataires de service externe, de négocier les contrats et d’en suivre les coûts, d’élaborer des montages juridiques et financiers ».
Les juges considèrent que les missions ainsi confiées par la société bénéficiaire à la société prestataire constituent une « délégation d’une partie des fonctions de décisions, de définition des stratégies, de gestion et de représentation qui incombent au directeur général d’une société » ; ce faisant, « la convention fait double emploi avec les missions sociales dévolues » au directeur général ; la convention est en conséquence « dépourvue de contrepartie réelle ».
Sans cause, puisque l’obligation de la société prestataire (rendre des prestations qui relèvent des prérogatives du seul directeur général de la société bénéficiaire) ne peut exister, la convention ne peut avoir aucun effet.
L’approbation d’une telle convention par les organes compétents de la société bénéficiaire (en l’espèce, l’Assemblée Générale ; le Conseil d’Administration dans les précédents de 2010 et 2012) n’y change donc rien.
Est également inopérant l’argument supplémentaire consistant à se prévaloir de rémunérations distinctes, ou opportunément ventilées, au titre de la convention et au titre du mandat social. D’ailleurs, la nullité de la convention pour absence de cause ne devrait-elle pas se suffire à elle-même, comme l’avait finalement considéré en 2012 la Cour de Cassation estimant inopérante la recherche relative à la rémunération allouée au titre du mandat dès lors que la nullité de la convention pour absence de cause était constatée. Pourtant, les juges de 2013 estiment nécessaire de constater « au surplus » que la convention revient à violer la compétence statutaire de l’Assemblée Générale des associés de la SAS pour fixer la rémunération du dirigeant, car la convention « faisait dépendre la rémunération [du directeur général] d’un contrat dans le cadre duquel il devenait le seul décideur du montant de sa rémunération » et « il importe peu sur ce point que [le maintien de la convention] ait été décidé par l’assemblée générale ». Constat auquel la Cour de Cassation avait déjà procédé en 2010 en rappelant « en troisième lieu » que les juges du fond avaient exactement retenu que la rémunération du directeur général de la SA «est déterminée par le conseil d’administration et ne peut être fixée par une convention conclue avec un tiers, peu important à cet égard que cette convention ait été autorisée par le conseil d’administration ».
L’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 4 juillet 2013 n’apporterait donc rien d’essentiellement nouveau à la jurisprudence sur les conventions de prestations de direction, s’il ne concernait une SAS.
Car, si les précédents évoqués rendus pour des SA avaient peut-être laissé aux dirigeants (doublement) dépités l’idée qu’une telle convention trouverait plus librement et efficacement sa place au sein d’une SAS, la Cour d’Appel de Paris rappelle le 4 juillet 2013 que la liberté qu’offre la SAS n’est pas sans limite et qu’il existe également pour cette forme sociale une sphère intangible des prérogatives du Directeur Général dont il ne peut, lui non plus, se délester.
Rappelons que ces prérogatives sont fixées à l’article L.227-6 du Code de Commerce (selon lequel la SAS est représentée par un Président, qui est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la SAS dans la limite de l’objet social, les statuts pouvant prévoir les conditions dans lesquelles ces mêmes pouvoirs peuvent être exercés par une ou plusieurs autres personnes devant alors porter le titre de Directeur Général ou de Directeur Général Délégué) et que le pouvoir de représentation du Directeur Général de la SAS que fondent ces dispositions au même titre que celui du Président a été consacré par la chambre mixte de la Cour de Cassation[3].
Mais, exclusivité des prérogatives du dirigeant ne signifie pas interdiction de toute délégation de ses pouvoirs. C’est aussi ce qu’avait confirmé successivement cette même chambre mixte, reconnaissant la faculté pour le Président et le Directeur Général de la SAS de déléguer le pouvoir d’effectuer des actes déterminés.
Aussi, et sauf à ignorer cette jurisprudence et celle plus générale qui l’a précédée pour définir un droit commun des délégations de pouvoirs, seule nous semble être ici remise en cause la prise en charge par un tiers de fonctions inhérentes à la qualité de dirigeant.
Resterait à déterminer un périmètre de ces fonctions, qui permettrait d’éviter les écueils d’une convention de prestations de direction vouée à la nullité (voire même, nous semble-t-il sur le terrain pénal, à la sanction d’abus de biens sociaux).
Si aucune liste ne peut en être dressée avec certitude, on peut d’ores et déjà retenir de l’appréciation souveraine des juges du fond qu’entrent dans la catégorie des fonctions que le dirigeant ne peut déléguer même en partie :
– Comme en l’espèce de 2013, les décisions relatives notamment à la stratégie de la société, à sa croissance externe, à la gestion de sa trésorerie, à l’élaboration de montages juridiques et financiers,
– Mais aussi, les prestations de création et développement de filiales à l’étranger, d’organisation et/ou de participations à des salons professionnels, de définition des stratégies de vente à l’étranger et de recherche de nouveaux clients à l’étranger[4] ;
– Et a fortiori, les prestations largement et globalement définies comme suit « l’action commerciale, gestion industrielle, gestion des ressources humaines, gestion administrative et financière, stratégie générale, prestation de direction »[5] .
En substance, les juges considèrent intransférables à un tiers les « fonctions de décisions, de définition des stratégies, de gestion et de représentation », c’est-à-dire, nous semble-t-il, celles relevant de la réalisation de l’objet social ; celles-là mêmes pour lesquelles le dirigeant a été précisément et spécifiquement mandaté et qui ne peuvent donc être exercées en dehors de la société et sans elle, car elles concernent le fonctionnement général de la société, le sens général de sa politique commerciale, industrielle, sociale, financière, l’orientation de ses perspectives ou ses stratégies.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le critère lié aux prérogatives du dirigeant est retenu : au plan pénal, la chambre criminelle de la Cour de Cassation refuse de donner le moindre effet exonératoire à une délégation (pourtant consentie à un préposé) lorsqu’elle porte sur une opération qui, compte tenu de son importance commerciale, relève de l’initiative du dirigeant et des prérogatives attachées à cette qualité[6].
A contrario, à notre avis, ne seraient donc pas concernées, et pourraient ainsi faire l’objet d’une convention de prestations de direction, les prestations matérielles, techniques, celles nécessitant une spécialisation particulière, celles qui pourraient être considérées comme accessoires, complémentaires ou subséquentes aux « décisions de fond » que seul le dirigeant peut prendre au nom et pour le compte de la société.
Le risque d’annulation d’une telle convention s’en trouverait réduit. Mais, l’intérêt même de la mettre en place pourrait également s’en trouver amoindri, à supposer qu’il ne soit pas totalement anéanti.
C’est pourquoi, et face à une situation devenue périlleuse au sein de conventions de management devenues discutables sur tous les plans, il apparaît préférable d’emprunter d’autres voies[7], et ce, même au sein d’une SAS nous semble-t-il (l’arrêt du 4 juillet 2013 faisant l’objet d’un pourvoi en cassation), laquelle, en toute hypothèse, reste libre, à l’inverse de la SA, de désigner, au sein de sa propre structure, une société pour exercer les fonctions de dirigeant.
Katia MARDESIC
[1]Cass. com.14 septembre 2010, n° 09-16084.
[2] Cass.com. 23 octobre 2012 n° 1123376
[3] Cass.ch.mixte 19 novembre 2010 n° 10-10.095 et Cass.ch.mixte 19 novembre 2010 n° 10-30.215 ; « Représentation de la SAS : dernière évolution ? » 22 mars 2011 – Nomosfusac n°6
[4] Cass.com. 23 octobre 2012 précité
[5] Cass. com.14 septembre 2010 précité
[6] Cass. crim. 4 mars 2008 n° 07-83.628 : en l’espèce une opération publicitaire d’un magasin de grande distribution que le dirigeant avait délégué au directeur salarié du magasin
[7] Cf.notamment La fin des conventions de management ? Arnaud Reygrobellet – Revue des Sociétés mars 2013 ; suite à Cass.com 23 octobre 2012 précité.