La Cour de cassation a rendu son premier arrêt sur l’application de l’article L 336-2 CPI, l’un des articles introduit par la loi Création et Internet, qui permet aux ayants-droit d’agir afin de faire cesser ou prévenir une atteinte à leurs droits indépendamment de l’appréciation de la responsabilité.
Dans cette affaire, les producteurs de musique reprochaient à Google d’orienter les recherches des internautes vers des services proposant des téléchargements illicites de fichiers musicaux, via son outil de saisie semi-automatique « Google Suggest ». Le Syndicat des Editeurs Phonographiques (SNEP) avait ainsi constaté que lorsqu’un internaute saisissait le nom d’un artiste ou d’un album dans Google, le moteur de recherche associait ce nom à des services en ligne permettant le piratage.
Le SNEP rappelait qu’aux termes de l’article L 336-2 du code de la propriété intellectuelle issu de la loi du 12 juin 2009, « En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne,… le Tribunal de grande instance peut ordonner, toutes mesures propres à prévenir ou faire cesser une atteinte au droit d’auteur ou à un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier » sans prendre en compte la responsabilité éventuelle et sans exiger que la mesure soit totalement efficace.
Statuant en la forme des référés, le Tribunal et la Cour d’appel de Paris, avaient rejeté les demandes visant à faire ordonner à Google Suggest la suppression des termes Torrent, Megaupload et Rapidshare des suggestions proposées.
Tout en admettant que la loi avait vocation à s’appliquer aux intermédiaires, fournisseurs d’accès ou moteur de recherche, la Cour avait retenu que les contenus illicites n’étaient pas accessibles sur le site du moteur de recherche et que celui-ci ne pouvait être tenu pour responsable des téléchargements illicites effectués par des internautes ; bien que, au Cours de la procédure, Google ait pris la décision de supprimer des suggestions les termes litigieux, la Cour retenait également que la suppression de la suggestion n’était pas de nature à empêcher le téléchargement illégal.
La Cour de cassation a suivi l’argumentation du SNEP en relevant que la Cour d’appel n’avait pas tiré les conclusions de ses constatations :
– d’une part, que « le service de communication au public en ligne des sociétés Google orientait systématiquement les internautes, par l’apparition des mots-clés suggérés en fonction du nombre de requêtes, vers des sites comportant des enregistrements mis à la disposition du public sans l’autorisation des artistes-interprètes ou des producteurs de phonogrammes, de sorte que ce service offrait les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins »,
– d’autre part, que « les mesures sollicitées tendaient à prévenir ou à faire cesser cette atteinte par la suppression de l’association automatique des mots-clés avec les termes des requêtes, de la part des sociétés Google qui pouvaient ainsi contribuer à y remédier en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux, sans, pour autant, qu’il y ait lieu d’en attendre une efficacité totale. »
La Cour de cassation casse et annule donc l’arrêt, en retenant que la fonctionnalité du moteur de recherche facilitait les atteintes aux droits des producteurs et que la mesure sollicitée par le SNEP était de nature à prévenir ou faire cesser, même partiellement, de telles atteintes.
Par cette décision, la Cour de cassation rappelle, conformément à la philosophie de la loi « Création et Internet », que la solution aux problèmes de piraterie peut résider plutôt dans la collaboration entre professionnels responsables que dans la poursuite des internautes.
Eric LAUVAUX