Un employeur ne peut pas engager la responsabilité d’un salarié et donc pas obtenir de dommages et intérêts de ce dernier, s’il ne l’a pas licencié pour faute lourde. En revanche, le détournement de sommes par le salarié à son profit ne nécessite pas un licenciement pour faute lourde pour que l’employeur en obtienne remboursement.
Ce principe a des conséquences importantes dont les employeurs n’ont pas nécessairement conscience. A défaut d’avoir licencié son salarié pour faute lourde, un employeur ne pourra pas obtenir une condamnation du salarié à le dédommager pour le préjudice qu’il a subi, même si ce dernier est important. Ainsi, par exemple, le salarié qui a commis des actes de concurrence déloyale durant l’exécution de son contrat de travail ne pourra pas être condamné à verser à son employeur des dommages et intérêts s’il n’a été licencié « que » pour faute grave (Cass. Soc. 22 juin 2016, 15-16880).
Or, la faute lourde, qui n’est admise que si l’intention de nuire à la société est démontrée, est très rarement admise par les juridictions. Il a par exemple été jugé que le salarié, se trouvant en état d’ébriété au sortir d’un dîner, qui « a agressé son collègue de travail, M. Y…, qui était chargé par son employeur de le raccompagner à son hôtel, à bord d’un véhicule qu’il avait mis à sa disposition » dont il « a pris le volant au mépris des consignes de sécurité, après en avoir expulsé M. Y…, » et qui « a enfin causé un accident de la circulation provoquant la mort d’une mère de famille et blessant trois autres personnes » ne constituait pas une faute lourde (Cass. Soc. 29 avril 2009, 07-42294).
Autrement dit, l’employeur, qui a dû être condamné par les familles de victime, n’a pas pu se retourner vers son ancien salarié pour obtenir sa condamnation à des dommages et intérêts car si la faute commise était grave, elle ne constituait pas une faute lourde.
Cette jurisprudence sévère ne doit pas pour autant être mal interprétée. Elle ne veut pas dire que quel que soit l’agissement d’un salarié, l’employeur sera dans l’incapacité d’obtenir de sa part un montant pécuniaire. Il est important de bien comprendre le sens du principe élaboré par la Cour de cassation : à défaut de faute lourde, il n’est pas possible d’engager la responsabilité du salarié et donc d’obtenir des dommages et intérêts de ce dernier. En revanche, il est tout à fait possible d’obtenir remboursement de sommes indument perçues par un salarié, même en l’absence de faute lourde.
En effet, si l’employeur, par exemple :
– verse indument des cotisations salariales à l’URSSAF (Cass. Soc. 25 février 1997, 94-44788) ;
– assure un complément de salaire trop important au titre de la maladie (Cass. Soc. 7 mars 2000, 97-44101) ;
– finance une formation alors qu’une clause du contrat prévoyait son remboursement (Cass. soc. 21 mars 2000, 99-40003) ;
– rémunère la fraction du préavis non exécuté après démission (Cass. soc. 27 février 2001, 99-40774) ;
– a envers le salarié « une créance de 17.764,54 € au titre des dépenses de carburant et achats en boutique non liés à un motif professionnel et payés à l’aide de la carte Total … et des dépenses de fleuristes, services Télécom, frais de bricolage, vêtements, matériel d’agriculture et commandes par correspondance avec la carte Mission Plus » (Cass. soc. 27 septembre 2012, 11-21926) ;
Il est autorisé à effectuer une compensation entre les sommes que lui doit son salarié et les rémunérations qui doivent lui être versées.
L’arrêt rendu le 2 juin dernier par la Cour de cassation peut être trompeur car il précise que le salarié avait rédigé plusieurs reconnaissances de dettes à son employeur. Pourtant la haute juridiction casse l’arrêt de la cour d’appel qui avait validé les prélèvements effectués par l’employeur sur le solde de tout compte du salarié. Pour ce faire, la Cour de cassation précise que « les reconnaissances de dettes avaient pour objet les sommes réglées par l’employeur pour indemniser les victimes des détournements commis par le salarié ». Le salarié avait en effet été licencié pour détournement de fond au préjudice de plusieurs clients de la société. La société avait donc indemnisé ses clients et prélevé une somme équivalente sur le solde de tout compte. Devant les juridictions, l’employeur estimait donc que son salarié avait engagé sa responsabilité … mais le salarié avait été licencié pour faute grave et non lourde. C’est logiquement que l’employeur devra rembourser les sommes qu’il avait prélevées sur le solde de tout compte du salarié à titre d’indemnisation de son préjudice subi (constitué par la nécessité d’indemniser les clients).
La solution eût été différente si, profitant de l’exercice de ses fonctions, le salarié avait détourné des sommes mise à sa disposition. En effet dans ce cas, l’employeur n’obtient pas du salarié le remboursement des sommes en question à titre de dommages et intérêts mais simplement parce qu’elles ont été indument perçues. Ainsi, alors que les licenciements n’étaient pas intervenus pour faute lourde :
– un salarié fut condamné à « restituer » à son employeur les sommes versées par des clients qu’il avait encaissées, dans le respect de « son obligation contractuelle » (Cass. Soc. 19 novembre 2002, 00-46108) ;
– un autre fut condamné à rembourser à son employeur (une banque) le montant du chèque qu’il avait détourné car il ne s’agissait pas d’une « faute commise … dans l’exécution de la prestation de travail » mais d’une « faute détachable de ses fonctions » (Cass. Soc. 9 novembre 2005, 04-14419).
En conséquence, si la faute grave ne permet pas d’obtenir des dommages et intérêts au titre du préjudice subi par l’employeur en raison des fautes du salarié, la faute lourde n’est pas nécessaire pour obtenir remboursement des sommes que le salarié détourne à son profit à l’occasion de l’exécution de son contrat de travail. La Cour de cassation n’a pas créé une immunité des salariés non responsables de faute lourde qui les autoriserait à s’enrichir sans possibilité pour l’employeur d’obtenir remboursement. Nuance.
Romain PIETRI