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CA Paris, 18 février 2020, n°18/09771

Le barème de répartition des droits de la SCAM pour les œuvres audiovisuelles distingue cinq genres d’œuvres qui jouent un rôle déterminant sur la rémunération à revenir à leur auteur. C’est ce qu’illustre cet arrêt qui rappelle par ailleurs, dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation, que les décisions de classification des sociétés de gestion de droits peuvent être contestées devant le juge judiciaire.

Dans cette affaire, les réalisateurs de quatre documentaires ont contesté le classement de leurs œuvres dans la catégorie D « reportage » et revendiqué leur reclassement dans la catégorie A « documentaire unitaire et grand reportage unitaire » ainsi que le paiement des sommes en résultant, la rémunération des droits d’auteurs pour les œuvres appartenant à cette catégorie étant plus importante (100% des droits résultant de leur exploitation en catégorie A, contre 35% en catégorie D).

Pour écarter ces demandes, la SCAM fait valoir en premier lieu que les œuvres litigieuses avaient été classées dans la catégorie « reportage » en raison de leur diffusion au sein d’une émission qu’elle avait qualifié de magazine. En effet, les règles de répartition des droits d’auteur de la SCAM définissent le reportage en référence au magazine, de la façon suivante: « toute œuvre audiovisuelle intégrée dans un magazine ou insérée à un plateau, qu’elle soit ou non accompagnée d’autres œuvres, est présumée obéir à une ligne éditoriale et être conçue en vue du magazine ou du plateau dans le cadre duquel elle a été diffusée ; elle relève en conséquence du genre « reportage », sauf à ce que son (ses) auteur(s) apporte(n) la preuve contraire ». Les documentaires unitaires et grands reportages unitaires, de même que les magazines, ne font, pour leur part, l’objet d’aucune définition par la SCAM.

Elle fait état, en second lieu, de l’irrecevabilité de la demande au vu de l’article 23 de son Règlement général selon lequel « toute contestation du classement d’une œuvre déclarée doit être adressée dans les trois mois suivant la date du premier règlement des droits de diffusion opéré par la société ».

Après plusieurs mises en demeure infructueuses, les réalisateurs ont assigné la SCAM afin d’obtenir le reclassement des quatre œuvres documentaires en question et le paiement des droits d’auteur afférents.

Le Tribunal ayant accueilli leurs demandes, la SCAM a fait appel du jugement rendu le 5 avril 2018.

Devant la Cour, la société invoque le principe de non-immixtion du juge dans le fonctionnement des sociétés civiles et commerciales, celui-ci ne pouvant se substituer aux organes sociaux pour apprécier l’opportunité de leurs décisions ou les modifier.

La Cour d’appel de Paris écarte cette demande, jugeant qu’il « revient à la juridiction judiciaire de vérifier la mise en œuvre des critères de classification retenus afin de s’assurer du respect des dispositions statutaires applicables, ce qui ne saurait s’analyser en une substitution aux organes de la SCAM, et le caractère autonome de ce barème ne peut empêcher la juridiction judiciaire de veiller à leur bonne application dans les rapports entre la SCAM et ses adhérents ».

Elle ajoute qu’un contrat s’interprète d’après les termes de la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral des mots, et qu’il revient au juge d’examiner si les dispositions statutaires ont été interprétées par la SCAM conformément à cette commune intention. Ainsi, le contrôle de l’application du barème ne constitue pas, pour la Cour, une immixtion dans le fonctionnement de la SCAM.

La Cour d’appel s’inscrit, par ces considérations, dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le classement opéré par les sociétés de gestion de droits est « licite, à condition de ne pas être discriminatoire, mais il reste également de nature purement contractuelle et il ne lie d’aucune façon les tribunaux qui statuent en droit d’auteur » (V. Cass. 1re civ., 6 févr. 1996, SCAM c/ Sipriot, n° 94-12.612).

Sur la demande liée à la classification des œuvres, la SCAM fait valoir que la qualification de reportage est justifiée dès lors que le documentaire en question est diffusé dans le cadre d’un magazine. Elle expose qu’au terme de son barème, constitue un « magazine » une émission consacrée à un thème donné, diffusée de façon périodique et pendant une durée non fixée, la présence ou non d’un présentateur ou d’un plateau étant indifférente. Elle relève par ailleurs que les œuvres litigieuses ont été spécialement commandées et obéissent à une ligne éditoriale, que la structure des œuvres diffusées dans le magazine est la même, que la liberté des réalisateurs est contrainte par les demandes du producteur, comme le montrent les contrats.

La Cour d’appel écarte cette argumentation en retenant que les règles de répartition de la SCAM ne définissent pas le magazine de sorte que cette dernière ne peut reprocher utilement au jugement d’avoir substitué sa conception du magazine à la sienne. Elle ajoute, en s’appuyant sur les contrats conclus entre la société de production et les réalisateurs, que ceux-ci ne font aucunement référence à une ligne éditoriale devant être respectée par ces derniers, la seule indication du sujet de l’œuvre ne constituant pas une ligne éditoriale.

La Cour confirme par conséquent le jugement qui en a déduit que les œuvres litigieuses appartenaient à la catégorie « documentaire unitaire et grand reportage unitaire », et condamne la SCAM à verser aux réalisateurs la différence des droits auxquels ils peuvent prétendre du fait de cette requalification.

L’analyse faite par la Cour des contrats réalisateurs rappelle la précision dont il est important de faire preuve dans la définition de la commande faite aux réalisateurs compte tenu de l’impact qu’elle est susceptible d’avoir sur la rémunération à laquelle ils ont droit.

Cette décision pourrait par ailleurs inciter la SCAM à compléter les définitions des différents genres documentaires prévues au sein de son barème de répartition.

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