De la relation commerciale établie à la relation commerciale précaire : les conséquences de l’appel d’offres et leur appréciation désormais convergente par la Cour d’appel de Paris
La société Carrefour Hypermarchés et la société Star’s Services sont cocontractants depuis 1999, la société Star’s Services s’étant vue confier à cette date les livraisons à domicile des commandes passées auprès de Carrefour Hypermarchés depuis son site internet de vente en ligne Ooshop. Dans un second temps, à compter de 2007, la société Carrefour Hypermarchés a également chargé cette société des livraisons à domicile des commandes passées dans les magasins eux-mêmes. Leurs relations contractuelles ont consisté en une succession de contrats à durée déterminée, certains avec tacite reconduction et d’autres sans tacite reconduction.
Pour la période 2012-2015, la société Carrefour Hypermarchés a décidé d’appliquer une procédure de mise en concurrence pour les prestations de livraisons à domicile des commandes en magasins et sur le site internet. La société Star’s Services a été retenue et a conclu un contrat à durée déterminée de 36 mois couvrant ladite période et expirant le 30 juin 2015.
Ce contrat a expressément exclu la reconduction tacite. Il imposait à chaque partie de notifier au plus tard une année avant sa date d’échéance à l’autre partie son souhait de renouveler ou non le contrat à échéance. A défaut d’un renouvellement ainsi expressément notifié entre parties, il avait été expressément convenu que le contrat prendrait fin de plein droit à l’expiration de la période, soit au 30 juin 2015.
Dans le délai contractuellement requis d’une année avant l’expiration du contrat la société Carrefour Hypermarchés a notifié à la société Star’s Services sa décision de ne pas renouveler le contrat à échéance et d’initier un nouvel appel d’offres pour la période débutant le 1er juillet 2015. La société Star’s Services a été retenue au terme de cet appel d’offres, mais pour les seules prestations de livraisons à domicile des commandes passées depuis le site internet. La société Carrefour Hypermarchés l’a, par ailleurs, informée que s’agissant des livraisons à domicile des commandes passées depuis les magasins, leur relation commerciale prendrait fin à l’échéance du contrat en cours, soit au 30 juin 2015.
La société Star’s Services s’est alors prétendue victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies.
Dans un arrêt du 16 mai 2024, rendu sur renvoi après cassation partielle, la Cour d’appel de Paris a retenu que l’appel d’offres de 2011 pour la période 2012-2015 avait entraîné un aléa commercial et la précarisation des relations commerciales entre les partenaires. Cette précarisation était liée à la mise en concurrence découlant par nature de l’appel d’offres, mise en concurrence qui s’était accompagnée d’une absence de reconduction tacite du contrat. La combinaison de l’appel d’offres et de l’absence de reconduction tacite du contrat empêchait toute croyance et attente légitimes de la société Star’s Services d’une poursuite de la relation et d’une continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial, et ce en dépit du fait qu’elle ait été retenue à l’issue du premier appel d’offres de 2011.
La Cour d’appel de Paris a clairement décidé que la société Star’s Services « ne pouvait dès lors ignorer que la relation contractuelle était susceptible de s’interrompre à l’échéance du contrat et elle ne pouvait pas davantage espérer raisonnablement que le contrat serait renouvelé à chaque appel d’offres peu important que la société Carrefour Hypermarchés ne l’ait pas expressément informée du caractère systématique de ce mode de sélection, cet appel à la concurrence ayant nécessairement introduit un aléa commercial ».
Ainsi, la Cour a tiré toute conséquence de l’organisation d’un appel d’offres et de l’absence de toute reconduction tacite prévue dans le contrat de 2012, en considérant que la société Star’s Services ne pouvait pas légitimement croire que ses relations commerciales avec la société Carrefour Hypermarchés allaient se poursuivre suite au deuxième appel d’offres.
Par conséquent, la relation commerciale ne pouvait pas être considérée comme établie et toute brutalité était exclue, le contrat ayant régulièrement pris fin à la date de son échéance, soit au 30 juin 2015.
La circonstance que la société Star’s Services n’ait pas contesté les appels d’offres de 2012 et 2014 a également joué en sa défaveur puisque la Cour a analysé la participation de la société aux appels d’offres, sans contestation de cette mise en concurrence, comme une acceptation de l’évolution des relations commerciales vers une précarisation.