CA Paris, Pôle 5, Ch.2, 19 mars 2021
Un opérateur de télécommunications utilisant un logiciel mis à sa disposition sous licence libre (GNU GPL v2) par son éditeur avait remporté un important appel d’offres public qui comprenait la mise à disposition de solutions intégrant ledit logiciel.
Considérant qu’il s’agissait d’une violation des termes de la licence libre portant atteinte à ses droits de propriété intellectuelle sur le logiciel, l’éditeur a procédé à une saisie-contrefaçon auprès de l’opérateur puis l’a assigné en contrefaçon de droit d’auteur et en parasitisme. Selon l’éditeur du logiciel libre, l’atteinte à son droit résultait de la violation des conditions de la licence libre qui qualifie d’incompatible avec ses conditions le fait d’intégrer fortement un logiciel libre au sein d’une solution propriétaire.
Jugé irrecevable en première instance à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon au titre de la violation alléguée de la licence libre et débouté de ses demandes pour parasitisme, l’éditeur de logiciel a interjeté appel.
Les premiers juges avaient considéré que la réparation poursuivie par l’éditeur du logiciel était celle d’un dommage généré par une inexécution contractuelle résultant de la violation alléguée de la licence et qu’en application du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, seule la responsabilité contractuelle pouvait être invoquée ce qui rendait l’action en contrefaçon irrecevable.
Pour rappel, la règle de non-cumul prévoit que « le créancier d’une obligation contractuelle ne peut se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, quand bien même il y aurait intérêt, des règles de la responsabilité délictuelle » (Cass. Civ. 1ère, 11 janvier 1989, n°86-17323).
L’éditeur du logiciel soutenait être recevable à agir sur le fondement délictuel nonobstant l’existence d’un contrat de licence dont le non-respect était à l’origine du différend.
La Cour d’appel procède à l’analyse d’un arrêt cité par les deux parties rendu par la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) le 16 octobre 2018 sur question préjudicielle. Par cet arrêt, la CJUE avait jugé que la violation d’une clause d’un contrat de licence de logiciel portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits de ce logiciel relève de la notion d’ « atteinte aux droits de propriété intellectuelle » au sens de la directive 2004/48 et que, par conséquent, le titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national.
La CJUE avait néanmoins souligné dans son arrêt que le législateur national reste libre de fixer les modalités concrètes de protection de ces droits notamment la nature, contractuelle ou délictuelle, de l’action dont le titulaire dispose.
En se fondant sur cet arrêt, la Cour considère que la CJUE ne remet pas en cause le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle spécifiquement prévu par le droit français et la conséquence qui en découle concernant l’exclusion de l’action délictuelle en présence d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle ayant pour fait générateur la violation d’un contrat.
La Cour d’appel juge donc que lorsque le fait générateur d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle résulte d’un acte de contrefaçon, le fondement applicable sera l’action délictuelle (ou quasi-délictuelle) en contrefaçon. En cas d’atteinte à ce même droit causée par un manquement contractuel, alors seule l’action en responsabilité contractuelle sera recevable.
La Cour conclut en confirmant le jugement de première instance qui a jugé le demandeur irrecevable à agir sur le fondement de la contrefaçon.
L’éditeur de logiciel obtient toutefois l’infirmation du jugement de première instance qui l’avait débouté de sa demande pour parasitisme à l’encontre de l’opérateur. Il reprochait à l’opérateur d’avoir détourné son savoir-faire sur le logiciel litigieux ce qui lui avait permis de faire d’importantes économies, de remporter le marché public et dès lors de profiter dun avantage concurrentiel injustifié. La Cour, après avoir confirmé qu’il s’agissait d’actes distincts, a infirmé le jugement de première instance et condamné l’opérateur au paiement de la somme de 150.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Cet arrêt vient nourrir la jurisprudence sur le régime de responsabilité applicable aux violations d’un contrat de licence et l’impact sur les droits de propriété intellectuelle objet de ce contrat. Il semble que la solution retenue par la Cour d’appel place les donneurs de licence dans une situation moins favorable que les titulaires de droits de propriété intellectuelle n’ayant pas consenti de droits par contrat. En effet, une telle solution empêche le donneur de licence de se prévaloir du régime et des mesures propres à la responsabilité délictuelle fondée sur la contrefaçon et le contraint donc à s’appuyer sur le régime de la responsabilité contractuelle par lequel il devra notamment démontrer la preuve de la faute du défendeur en cas d’action.